« Les grands talents fleurissent tard. » prévient la grand-mère Yoshiko (Kirin Kiki) au sujet de son fils Ryota (Hiroshi Abe). Dans un film où les personnages parlent souvent en adage, celui-ci a toutefois en réalité moins valeur d’avertissement que d’excuse. Auteur d’un premier ouvrage titulaire d’un prix, Ryota n’a pas « confirmé » avec la parution d’un second. Les années passant, ses aspirations littéraires n’ont jamais trouvé l’épanouissement, celui-ci mettant désormais ses dons d’observations au service des besognes d’une agence de détective. Cet échec à concrétiser son rêve pourrait après tout ne regarder que lui (dans une communauté par trop soucieuse de la réussite sociale du voisin). Son attitude face à cet état de fait lui a cependant coûté une vie de famille : avec le divorce de son épouse Kyoko (Yôko Maki) pour ce qu’on comprend être ses manquements dans l’éducation de leur fils unique, Shingo (Taiyô Yoshizawa). Accaparé à guetter sa propre floraison, ce père n’aura su accompagner celle de sa progéniture. Après la Tempête les réunit, entre l’arrivée sur les côtes d’un vingt-quatrième typhon et les désastres successifs qui ont parsemé leur vie commune, alors que Ryota se met à suivre en filature son ex-épouse, vestige d’un passé qui, dans son cas, décidément ne passe pas. (notre entretien avec Kore-eda est à lire ici)


Peut-être me faudrait-il avouer n’avoir jusqu’ici accordé à Hirokazu Kore-eda une attention ne dépassant que moyennement le stade de l’intérêt poli. L’occasion de s’adonner de temps à autre au petit jeu consistant à chercher derrière la mièvrerie apparente des signes de difficulté existentielle (filmer le bonheur est une tâche résolument ingrate). Il est comme rafraîchissant de le voir se confronter à des existences pleinement malheureuses, autant que peut s’y déceler certaines facilités. Se mettant au chromo de l’humeur générale, sa photographie adopte des teintes mornes, à l’uniformité maronne (la fidélité de Kore-eda au 35 millimètres s’avère payante en terme de densité). Le dialogue est thématiquement appuyé : si les bons plats demandent une longue cuisson, c’est immédiatement pour s’en référer à un personnage qui, lui, le temps passant, à force de bouillir intérieurement s’est transformé en un être acariâtre. Ce souci temporel touche jusqu’aux aliments eux-mêmes, Ryota se plaignant à deux reprises de la péremption (largement dépassée) des produits que sa mère conserve – et avale sans trouver, elle, à y redire. Elle fait avec, s’est constituée une raison, comme elle accepte la condition de son fils mieux qu’il ne la vit lui-même. Exilé d’un passé prometteur, butant face au barrage d’un avenir qui lui rendrait sa bonne fortune, il est un être condamné à hanter sa propre existence plus qu’il ne l’habite, en banqueroute du présent. Son obsession du jeu (il claque toute sa fortune aux courses avant de s’acquitter de la pension qu’il doit pour son enfant) reflète ce désespoir, autant que la filature de son ancienne épouse donne la mesure de son envie.


À l’ère du numérique et de ses facilités de traçage, il y a quelque chose de presque touchant à voir les indépassables méthodes façonnées par une époque analogique employées par l’agence de détective où il opère, autant que dans leur reprise à titre personnel. Suivre en voiture, fournir des photographies papiers, rester planqué dans une chambre d’hôtel avec vue ou passage sonore, etc. Son métier, sa méthode, paraissent déjà élaborés par un autre temps. Les formes de médiocrité et de mesquinerie auxquelles Ryota se trouve confronté durant ses journées (autant qu’il y contribue) peuvent, ou se voir comme des bassesses immémoriales, ou au contraire, tel qu’un de ses collègues le suggère, comme ayant trait à une vulgarité contemporaine. Le drame d’Après la Tempête a en partie à voir avec l’incapacité de certains profils à s’adapter aux contours sociaux qui leur sont imposés, se retrouvant alors piégés dans des failles de la vie moderne. Ce qui fait la tristesse de l’existence menée par son personnage ne ressort pleinement qu’au sein d’une famille modeste, où les attentes ont été redoublées, des sacrifices consentis (à moins que ce ne soit l’enfant qui sacrifie en fait son avenir aux attentes irréalistes de ses proches ?), pour que celui-ci s’élève au-dessus de cette condition préalable.


La suite de la critique à lire ici.

Cygurd
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le 22 déc. 2016

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Film Exposure

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