« Tout le monde ne peut pas devenir celui qu’il voudrait être »

Après avoir réussi l'exploit, des années durant, de remettre au goût du jour un cinéma traditionnel que l'on pensait désuet, Hirokazu Kore-Eda semble cruellement marquer le pas et frôle le crime de lèse-majesté en faisant de Après la tempête un film presque anodin, en tout cas bien loin des attentes que l'on peut légitimement formuler à son égard.


Caméra discrète et légère, bonne volonté chevillée au corps, notre homme filme pourtant la famille comme il a pu le faire auparavant, en mettant en relief les conflits et relations douces-amères qui la traversent, en révélant la fragilité d'un bonheur familial soumis sans cesse aux affres du quotidien et à la veulerie de ses différents membres.


Une nouvelle fois, il façonne des personnages effroyablement humains, des êtres bancals, cabossés par la vie, hantés par les fantômes du passé, rongés jusqu'à l'os par la rancœur et les regrets. Une nouvelle fois, Hirokazu Kore-Eda compose des portraits nuancés et sensibles, teintés d'une indicible mélancolie.


Ryota, le premier d'entre eux, est le digne héritier des héros de* Still Walking* et de Tel père, tel fils, c'est le perdant magnifique qui doit, haut la main, gagner notre empathie. Tout est fait pour, en tout cas ! Avec méthode, le cinéaste met en évidence les contradictions de son personnage, tout en prenant soin de laisser émerger l'humour et la tendresse. Ainsi, on s'amuse de voir ce romancier endosser un costume de détective moins pour retrouver l'inspiration que pour épier les péripéties amoureuses de son ex ; on est attendri surtout de voir ce grand gaillard tenter, tant bien que mal, de renouer le lien avec son fils alors qu'il n'a toujours pas fait le deuil de son propre père.


À travers lui, surtout, on voit apparaître les questions de filiation et de transmission : devenir père a-t-il un sens quand on n'a que l'échec en guise d'héritage ? L'avenir est-il possible quand le passé empoisonne déjà votre présent ? Ces problématiques, on les devine aisément quand, au détour d'une conversation anodine lors d'un repas ou d'une balade, les proches de Ryota n'auront de cesse de lui rappeler ses failles ou ses erreurs : c'est sa mère qui lui rappelle qu'il n'est grand que par la taille, c'est sa sœur qui se moque de son talent en oubliant le nom de son prix littéraire, c'est son ex-compagne qui pousse l'humiliation à évoquer continuellement ses nombreuses dettes devant son fils...


Le spectre de son propre père, celui qui a été incapable de sortir les siens de cette modeste cité HLM, fait continuellement son apparition et hante les pensées : "T*out le monde ne peut pas devenir celui qu’il voulait être*", finira par lâcher Ryota comme pour s'excuser de sa piètre condition. Dans cette formule, terriblement lucide, se niche la principale détermination du cinéaste : témoigner, sans s'apitoyer, d'une prise de conscience totalement désillusionnée de l'existence. Mais finalement, comme un symbole, elle va également venir marquer les limites du film : jamais l'intensité dramatique ne dépassera le seuil entraperçu dans cette scène, quant à l'émotion, elle ne fera plus que de rares apparitions à l'écran.


On le devine rapidement, avec Après la tempête, Kore-Eda tente de rééditer l'exploit de Still Walking, c'est-à-dire de s'attarder sur le quotidien d'une famille blessée afin d'évoquer en creux la disparition de l'un de ses parents. Seulement, l'épure extrême de la mise en scène et la sur-écriture du sujet privent le film d'audace tout en bridant son pouvoir émotionnel. Bien gentiment alors, il se contente d'aligner des saynètes attendues sur un fil narratif convenu, usant des sempiternels mêmes symboles et tirant inexorablement sur les mêmes ficelles dramatiques... Seulement la force de Still Walking était de faire naître l'émotion ou la poésie de manière inopinée, car, au fond, rien n'est plus beau que d'être charmé ou ému au détour d'une séquence que l'on croyait inoffensive.


À l'inverse, avec Après la tempête, tout devient prévisible et rien n'est vraiment remarquable. Du symbolisme utilisé (les gestes transmettant la mémoire familiale, le papillon représentant l'être disparu...) jusqu'aux procédés narratifs, en passant par les acteurs principaux (Hiroshi Abe, Kirin Kiki), tout converge vers une pâle redite de* Still Walking*.


Bien évidemment le talent du cinéaste ne s'est pas évaporé et se rappel à notre bon souvenir au détour de quelques scènes élégamment ciselées : c'est la séquence du typhon au cours de laquelle le symbole de la désunion (les jeux de pari de Ryota) permet soudainement la recomposition de la famille, le temps d'une nuit seulement où tous uniront leurs efforts afin de mettre la main sur des billets de loterie alors de la tempête fait rage. Mais c'est une autre, peut-être plus subtile, qui voit Ryota endosser enfin le costume du père en enfilant la chemise de son paternel. Il n'est peut-être pas le grand homme qu'il rêvait d'être, mais il est enfin le père que son fils attendait, lui transmettant un peu de vice et beaucoup d'espoir.

Créée

le 7 déc. 2022

Modifiée

le 7 déc. 2022

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Procol Harum

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