Ce n’est pas une nouveauté, la SF française (dans tous les domaines) est relativement discrète et passablement misérable en cette décennie. Bien pauvre héritage de son si glorieux passé, en la personne de Jules Verne ou George Méliès pour ne citer qu’eux. Etant donné le peu de moyens que l’on prend le risque d’allouer aux productions du genre dans l’Hexagone, on ne peut effectivement pas se targuer de proposer des blockbusters grandiloquents à la mesure des budgets que cela implique.
En 2016, pourtant, un petit filou vient s’incruster dans ce schéma peu glorieux. Un film très discret, qui fait suite à une promotion quasi-inexistante, avec 4 millions d’euros de budget, un tournage en France et les meilleurs spécialistes du pays en termes d’effets spéciaux. Pari audacieux s’il en est, dont on ne manque pas de constater les indéniables qualités.
Pour tenir le Paris (JEU DE MOOOTS), pas de foisonnement de gratte-ciels à la Blade Runner (un ou deux pour les multinationales au pouvoir, on n’est quand même pas de bois), mais l’inverse : on n’est pas dans l’évolution technologique mais dans la régression sociale, faisant de Paris un immense bidonville dominé par les écrans géants chargés de programmes de sport ultra-violents. La science-fiction ne réside pas ici dans l’esthétique, mais s’oriente dans ses aspérités sociales.
La France est ruinée et sa survie économique dépend désormais des lobbys pharmaceutiques ayant instauré une extension du droit de disposer de son corps : chacun peut désormais se faire cobaye de laboratoire pour tester des drogues, à ses risques et périls. Au milieu de cette tourmente, les programmes de sport sus-évoqués mettent en scène des combats d’écuries de champions (évitons l’expression « boxeur », très inexacte en l’occurrence) dopés aux médicaments produits des entreprises pharmaceutiques régissant le pays.
Dans un tel contexte, pas de grande aventure spatiale ou batailles à coups de fusils laser en perspective : Arès verse plus dans la fiction d’anticipation sociale brute. On ne manque pas de ressentir un profond malaise une fois happé dans ce Paris sordide et en ruine qui pourrait bien être le nôtre dans une dizaine d’années. Un Paris secoué par les émeutes de la grogne du peuple et des pressions d’Amnesty International pour dénoncer les démarches meurtrières des lobbys en place. Un Paris où la misère est omniprésente, où le système capitaliste l’a emporté dans son degré le plus extrême, et dans lequel tous les pauvres sont les héros et les riches les responsables et les actionnaires des entreprises, souvent représentés ensemble en plans larges. Un aspect que l’on pourrait reprocher au film, de ne coller à chaque personnage qu’un caractère servant à sa critique.
Cette répartition permet cependant de mettre en exergue la question de l’argent, que ce soit sa nécessité, son gain ou son déficit. La France est ruinée, nous n’avons plus à le rappeler ; d’un côté les multinationales en déficit tentent une entreprise désespérée pour faire regrimper leurs rentrées d’argent ; de l’autre les victimes de ce système, que tout jusqu’à l’état de leurs logements inscrit dans sa nécessité. Arès, le personnage principal, est cependant un protagoniste entièrement soumis au système : le spectateur renâcle en l’entendant cingler au nez de sa sœur « Je préfère l’argent ». La plupart des personnages sont motivés par cette obsession matérialiste, Arès qui aime consommer puis qui souhaite sortir sa sœur de prison, son entraîneur qui mise gros sur lui, Altman sa petite amie qui n’hésite pas à le trahir et à prendre ses enfants en otage motivée par l’appât du gain…
La tension que ce désir ne manque pas de créer parfois profite d’un cadrage parfois conventionnel mais ne manquant pas de bonnes idées : les plans sont souvent larges et couvrent un cadre d’ensemble regroupant les personnages sous un angle généralisant, ce qui inscrit d’autant mieux les personnages dans la complexité du système qui les oppresse et renforce le sentiment d’unité qui évolue d’un bout à l’autre du métrage. Le système de caméras de voyeurs installées chez Myosotis est bien exploité lors de la prise d’otages, utilisé sans être omniprésent. On reproche cependant aux combats d’être filmés de manière assez conventionnelle, clipesque et agitée, beaucoup plus centrée sur les coups que sur le mouvement des corps.
Même si les caractères ne sont pas tous des plus développés et manquent souvent de background, ce défaut est compensé par leurs rôles bien définis et par des caractères cohérents, dans leur base comme dans leur évolution. Dès le début la relation entre Arès et Myosotis se place sous le signe du mépris (introduits l’un à l’autre par une insulte crasse), relation restant conflictuelle mais s’apaisant au fil du métrage, jusqu’au merci tant attendu par le travesti, tout ça par l’entremise des filles du champion. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, même passablement imperceptibles.
Le film en lui-même n’est pas esthétique mais il ne se destine pas à l’être ; il est cohérent dans ses aspects politiques et fournit une vision anticipatoire humble et passablement classique mais avec certaines spécificités savoureuses. On ne le déguste pas comme le premier blockbuster de SF car son traitement du genre est totalement différent, mais la vision en vaut clairement la chandelle. De quoi rebuter le spectateur lambda, mais matière à réflexion pour un public plus spécifique.