Avec une date de sortie fixée la semaine après Star Wars 7, une affiche qui suinte le cinéma d’art et d’essai et un titre à peu près aussi original qu’un plat à base de riz en Chine, autant dire que la carrière de ce film se résumera à sa note Télérama.


Dommage, car c’est à la fois une œuvre réfléchie, maitrisée et au final d’une belle écriture qui m’a laissé un sentiment doux-amer. Pour replacer Jia Zhangke pour ceux qui ne le connaissent pas (perso je l’ai découvert avec ce film, donc pas de honte à avoir, enfin je crois), en plus d’avoir un nom orgasmique à sortir au scrabble, est un réalisateur underground chinois. On rappelle qu’être underground dans une dictature ça signifie pas écouter du punk rock pour ennuyer papa mais diffuser ses œuvres hors cinéma et circuit « classique », ceci avant d’être consacré à l’étranger : lion d’or à la Mostra de Venise pour Still Life, prix du scénario à Cannes pour A Touch of Sin, membre du jury cannois en 2014 et il a animé une masterclass sur la croisette en 2015. Plutôt impressionnant, surtout pour un homme d’à peine 45 ans qui vient d’une ville ouvrière paumée et qui fait des scores ridicules au box-office une fois sur deux quand ses films ne sont pas autorisés à être diffusé dans la république populaire…


Son thème de prédilection est la société chinoise dans tous ses travers, loin d’être un gros réac vindicatif fan du crédo « c’était mieux avant », il préfère poser un regard sincère mêlé à une pointe d’ironie sur ces personnages. Ici on commence par un nouvel an, les traditions chinoises y sont du dragon en papier aux costumes et danses typiques. La musique ? Go West des Pet Shop Boys, un chant aux airs de chœurs de l’armée rouge dont le titre pourrait se traduire par « occidentalisez-vous ». Je ne pense pas que ce film qui parle de la perte des valeurs de la chine à travers deux générations et trois époques aurait pu mieux commencer.


Cette finesse dans le non-dit, dans le décryptage de ce qui est à l’écran fait le sel du film qui s’améliore au fur et à mesure qu’il avance. On commence en 1999 puis 2014 avant de finir en 2024, le réalisateur rend tout ceci parfaitement cohérent en utilisant un format d’image correspondant à son temps, 4/3 et image qualité caméscope pour les années 90 où la télévision règne encore en maître, format proche du 16/9 pour 2014 et enfin caméra numérique associée au cinémascope (en gros encore plus grand que le 16/9) pour le futur proche. Au-delà de cette idée que je trouve géniale d’alterner les formats, chaque segment voit une histoire d’amour se finir, une autre commencer et un avion qui s’écrase, des raviolis ainsi que des musiques qui reviennent (Go West et une autre chanson de variété chinoise, mon niveau de mandarin me permettant à peine de préparer des nouilles instantanées, je vais m’abstenir d’essayer d’en écrire le titre), une manière de dire encore une fois qu’il faut que tout change pour que rien ne change.


Toutefois on n’est pas dans une structure à la Touch of Sin (qui est un film génial, voilà fallait que ça sorte) composé de quatre segments indépendants. Ici les trois parties ont pour personnage récurrent Tao, une jeune femme au début qui hésite entre son fiancé travaillant à la mine et un propriétaire d’une pompe à essence bien décidé à réussir dans les affaires, et les conséquences de son choix en 2014 puis 2024. L’actrice, Zhao Tao, la femme du réalisateur jouant dans quasiment tous ses films depuis quinze ans, offre une prestation criante de vérité, j’aurais tendance à dire personnelle dans la mesure où le personnage porte son nom (Tao) et où l’action de la première partie se situe dans la ville industrielle qui a vu grandir Jia Zhangke.


Alors oui, un film chinois de 2h qui commence par trente minutes dans le milieu populaire des ouvriers d’un coin paumé de la chine, autant dire que je craignais le pire, mais loin de s’arrêter à faire une analyse de société Jia Zhangke nous emmène loin. Le fait de voir les conséquences des choix de chacun quatorze puis vingt-quatre ans plus tard est fascinant d’autant plus que les décors sont de plus en plus beaux à mesure que le film avance (le dernier segment en Australie contient son lot de séquences splendides), au final je conseille vivement cette fable moderne dotée d’un rythme propre qui ne tombe jamais dans le contemplatif ou le somnifère. C’est un vrai grand film ambitieux mais sobre, expérimental et maitrisé à découvrir.


Critique issue de : http://cinematogrill.e-monsite.com/articles/sorties/au-dela-des-montagnes.html#jJVTsxZRXZtwiR4u.99

Cinématogrill
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Nos meilleurs films de l'année 2015

Créée

le 10 déc. 2015

Critique lue 862 fois

2 j'aime

Cinématogrill

Écrit par

Critique lue 862 fois

2

D'autres avis sur Au-delà des montagnes

Au-delà des montagnes
AnneSchneider
9

Rêves de bonheur... "au-delà des montagnes"

Trois époques. Trois destins. Mais cette double triangulation ne va pas conserver un profil géométriquement constant. On découvre Tao, le sommet féminin du triangle héroïque, participant fièrement à...

le 14 janv. 2016

19 j'aime

2

Au-delà des montagnes
Sabri_Collignon
5

Mountains Falls Deeply

Jia Zhang-Ke est le nouvel homme fort du cinéma chinois. A tel point que le Festival de Cannes, the place to be pour qui souhaite s'attirer les louanges de la profession, n'hésite plus à le...

le 11 déc. 2015

17 j'aime

Au-delà des montagnes
Moizi
8

Le temps et la vie à l'oeuvre

J'avais un peu boudé A touch of sin parce que Still Life que j'avais vu à sa sortie ne m'avait pas forcément touché des masses... (mais bon, j'étais au lycée à l'époque) et à présent, après avoir vu...

le 27 déc. 2015

12 j'aime

4

Du même critique

Room
Cinématogrill
5

La fin de l’innocence

8,3/10 sur l’imdb, 86% sur métacritique, 94% sur rotten tomatoes, 5 nominations pour un oscar et 7,7/10 sur sens critique à l’heure où j’écris cet article : Room à première vue apparaît comme un...

le 11 mars 2016

56 j'aime

The Florida Project
Cinématogrill
5

Question ouverte au réalisateur : où est le scénario ?

Sean Baker est à la limite de l’artiste contemporain et du cinéaste. Ultra engagé, il s’est fait connaitre après le micro exploit de réaliser en 2015 Tangerine, entièrement tourné avec trois...

le 19 déc. 2017

38 j'aime

5

Thunder Road
Cinématogrill
5

Bonjour tristesse...

J’ai sérieusement conscience d’aller à contre-courant de la perception que semble avoir le monde entier de ce film plébiscité (à part une partie de la presse française spécialisée) mais...

le 13 sept. 2018

28 j'aime

5