Durant la Première Guerre Mondiale, deux jours avant l’armistice, le lieutenant Pradelle (Laurent Lafitte) envoie ses hommes dans un dernier assaut meurtrier, durant lequel le soldat Edouard Péricourt (Nahuel Perez Biscayart) a une partie du visage arrachée par un éclat d’obus en tentant de sauver le soldat Maillard (Albert Dupontel). Revenus à la vie civile, Maillard continue à s’occuper de Péricourt, devenu muet et défiguré à vie, qui refuse catégoriquement de renouer avec sa famille, étant en conflit avec son père (Niels Arestrup, immense). C’est alors que germe dans l’esprit de cette jeune gueule cassée une idée : monter une arnaque en proposant aux mairies des monuments aux morts fictifs, et en partant avec la caisse avant que les notables concernés se rendent compte de la supercherie…


Si Albert Dupontel est un grand homme, c’est justement parce qu’il ne cherche pas à en être un. Et si ses films sont de grands films, c’est bien parce qu’il ne cherche pas à en faire des chefs-d’œuvre. Avec Au revoir là-haut, le réalisateur français confirme ainsi qu’il est un artiste de grand talent. Bien qu’occupant un des deux rôles principaux du film, Albert Dupontel se cache bel et bien, non seulement derrière son art, mais surtout derrière celui d’un autre, Pierre Lemaître.
A l’excellent roman de ce dernier, l’acteur-réalisateur a décidé d’accorder une totale fidélité, sinon dans la forme, au moins dans l’esprit. S’il s’octroie le luxe de modifier (intelligemment) la fin de manière importante – nous offrant par-là la scène la plus émouvante du film –, Albert Dupontel ne trahit jamais le roman de base, mettant tout son art à lui donner une adaptation crédible (d'aucuns ne se sont pas privés de critiquer un twist final quelque peu artificiel : ces gens-là n'ont pas lu Dumas...). C’est donc avec un plaisir non dissimulé que l’on retrouve le don de l’artiste pour la mise en scène, celle-ci s’avérant aussi exceptionnelle que dans ses comédies précédentes, mais avec une plus grande sobriété. Il devient dès lors impossible de ne pas se laisser happer par les images d’une hallucinante beauté que nous offre Albert Dupontel, que ce soit sur le champ de bataille (superbe plan-séquence d'ouverture, kubrickien) ou bien dans l’hôtel particulier des Péricourt. Il faut dire qu’il a mis les moyens pour redonner vie au Paris des années folles, en une reconstitution somptueuse offrant un écrin de choix à la pépite cinématographique qu’il nous est donné de contempler.
Malheureusement, le format cinématographique a obligé Albert Dupontel à amputer le scénario du roman, et si l’intrigue s’avère d’une densité plus qu’appréciable, cela ne l’empêche pas d’effectuer quelques raccourcis assez dommageables, surtout pour qui a lu le roman. La grande victime de ces amputations, c’est notamment Madeleine Péricourt, constamment au second plan, ce qui diminue considérablement la portée émotionnelle de sa séparation avec Pradelle. Au revoir là-haut n'en bénéficie pas moins d’un casting de choix, au sommet duquel trône l’impérial Niels Arestrup, époustouflant de justesse et d’émotion, une émotion qui culmine dans la scène absolument incroyable des retrouvailles avec son fils. On ne peut pas ne pas mentionner bien évidemment le très bon Nahuel Perez Biscayart qui, étant masqué la plupart du temps, invente un langage corporel original (parfois traduit de manière superflue par Louise), complété par ses masques d’une créativité folle signée Cécile Kretschmar, mais également, dans des rôles plus ingrats, l'excellent Laurent Lafitte, parfait en crapule cynique, et l'hilarant Philippe Uchan, savoureux en crétin fini, un acteur dont on est bien content qu’Albert Dupontel soit là pour nous révéler le talent.
Toute cette galerie de personnages s’anime donc avec une aisance incroyable devant la caméra d’Albert Dupontel, au rythme de la musique constamment juste de Christophe Julien. Et elle s’anime d’autant mieux que le réalisateur a su respecter avec une infinie justesse l’alchimie subtile entre humour et émotion qui sous-tendait tout le roman de Pierre Lemaître, nous offrant ainsi un film au souffle romanesque unique dans le paysage du cinéma français contemporain, qui échappe à toute catégorisation (à la fois comédie, film d'aventures, drame, thriller...), ce qui est toujours bon signe.
Finalement, on comprend qu’Albert Dupontel se soit attribué le rôle du touchant Albert Maillard : car si Maillard se met au service d’un soldat gravement blessé afin de l’aider à surmonter ses souffrances et de lui redonner goût à la vie, Dupontel ne s’est-il pas lui-même mis au service d’un cinéma français atrocement défiguré afin de lui redonner un semblant de grandeur et d’humanité ?

Tonto
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le 8 nov. 2017

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