« Le cinéma français, c’était mieux avant. » « Le cinéma français, c’est de la m… » Des bruits de couloir qui ont tendance à courir en des temps où le box-office ne cesse de faire honneur à des comédies toutes plus ressemblantes les unes que les autres, attirant un public familial en quête de divertissement, un filon que bien des producteurs ne manquent aujourd’hui pas d’épuiser jusqu’à l’overdose. Mais il est évident que la qualité d’un film est totalement indépendante de son résultat au box-office. Entre Les nouvelles aventures de Cendrillon et les Gangsterdam il y avait ce film, à la fois intrigant et attirant, ce film français qui avait tout le potentiel de montrer que le cinéma français n’est pas mort : Au revoir là-haut.


Si la Seconde Guerre Mondiale a été un sujet de choix dans l’élaboration de films de guerre épiques, la Première Guerre Mondiale se montre davantage comme une guerre d’usure, cruelle sur le champ de bataille, mais aussi après son terme, délaissant tous ses héros. D’excellents drames sociaux ont déjà exploré cette problématique, comme Je suis un évadé, réalisé par Mervyn LeRoy en 1932 et Les Fantastiques Années 20, réalisé par Raoul Walsh en 1939. Ces deux productions américaines montraient avant tout la déviance d’individus honnêtes dans la pègre et dans l’illégalité. Ici, Albert Dupontel a pour but de peindre un tableau général de l’après-guerre, alors que l’on compte encore les cadavres et que la poussière n’a pas fini de retomber sur les champs de bataille.


Les soldats reviennent dans un monde qui s’est passé d’eux et qui ne veut plus d’eux, notamment l’infortuné Edouard, irrémédiablement défiguré par une explosion. Si le champ de bataille était un véritable enfer sur terre, où les hommes étaient instantanément abattus, le monde civil n’est pas moins impitoyable. Chacun agit dans son propre intérêt, les coups bas sont monnaie courante, les responsables fuient et les victimes paient. Albert Dupontel fait d’Au revoir là-haut un drame burlesque qui vise à dénoncer l’absurdité de la réalité, et pas juste celle de 1919, mais celle de notre monde en général. Car la « drôle de guerre », décidée par quelques individus et ayant causé des millions de morts, paraît absurde, mais elle est elle-même née d’un monde lui-même absurde.


Le personnage d’Edouard, artiste dans l’âme, masqué car défiguré par la guerre, à la fois triste et drôle, enthousiaste et dépressif, plein d’espoir et désespéré, inconnu et absurde, est une synthèse des effets de la guerre, mais aussi d’un monde lui-même fou et absurde. Au revoir là-haut est certes un drame, mais qui ne manque pas de faire rire malgré lui, en tournant au ridicule la société, la politisation des relations entre individus, le pouvoir de l’argent, tout ce qui vicie l’humanité et lui font perdre son authenticité, laquelle est représentée par le personnage d’Albert, d’apparence simple, mais honnête et fidèle. L’impitoyable lieutenant est un homme machiavélique, agissant comme le loup qui chasse la troupe de moutons affamés. Marcel Péricourt, campé par Niels Arestrup, est la représentation de l’homme qui a réussi dans la vie et s’est trouvé une place de choix dans la société, mais qui voit la vie lui échapper, tant au niveau de sa santé, que de sa famille et de ses sentiments. Ces différents personnages représentent tous un échantillon d’un monde complexe, fatigué et moins rationnel que l’on pourrait le penser.


Il est difficile de trouver de réels défauts à ce film qui parvient à s’élever à un niveau rarement atteint par les récentes grosses productions françaises. Bénéficiant d’un véritable travail de restitution de l’époque, d’une superbe direction d’acteurs, lesquels sont tous irréprochables, et d’une mise en scène millimétrée, immersive et puissante, Au revoir là-haut est un drame burlesque parvenant à transmettre au spectateur une large palette d’émotions, avec un bouquet final d’une puissance rare. On parle beaucoup de 120 battements par minute comme étant l’un des films français de l’année, mais il va sans dire qu’Au revoir là-haut est un des grands prétendants au titre, et est même un des meilleurs films de l’année tout court.

JKDZ29
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le 1 nov. 2017

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