Une très belle "toile cinématographique" qui manque encore un peu de perspective

De Dupontel, je n'avais vu jusqu'à présent que "Neuf mois ferme" (2013), cette comédie plutôt simple mais bien poilante mettant en scène l'histoire d'une juge célibataire coincée campée par Sandrine Kiberlain, se retrouvant mystérieusement enceinte et cherchant à découvrir de qui tandis que le tribunal la met sur l'affaire "Bob Nolan", un dangereux criminel en cavale.
Du coup, avec "Au revoir là-haut", cela reste pour moi une entrée en matière dans la filmographie d'Albert Dupontel.
"Au revoir là-haut" est le genre de film qu'initialement, je n'avais pas prévu d'aller voir dans mon agenda des sorties cinéma de l'année mais ces derniers temps, à force de retours dithyrambiques et d'un accueil critique extrêmement bon (certaines critiques acclamant déjà le film comme un nouveau Classique du Cinéma Français ! ^^) dont une moyenne de notes Spectateurs Allociné de 4,5/5 (O_O )qui a piqué au vif ma curiosité de spectateur ouvert, en plus d'étudier justement Les Années folles en Histoire Culturelle des Arts du Spectacle dans mes études sup (le film tombe à pique comme révisions à l'approche des partiels xD).
Bon, "Au revoir là-haut", quatrième film du réalisateur-acteur et humoriste Albert Dupontel après "Enfermés dehors" (2006), "Le Vilain" (2009) et, "Neuf mois ferme" (2013), adaptation du roman éponyme de Pierre Lemaître, nous plonge en pleine France mondaine d'après guerre.
L'histoire de "Au revoir là-haut" prend place en 1919; à l'aube des Années folles, dans une France en pleine mutation artistique. Albert Maillard, modeste comptable et soldat rescapé de la 1ère Guerre Mondiale ou il a été mobilisé, et Edouard Péricourt, artiste dessinateur amateur, fils d'une prestigieuse famille de la haute bourgeoisie Parisienne, défiguré par un obus au cours du conflit, décident de s'associer pour monter ensemble une opération d'escroquerie à des fins artistiques. Cependant, les ex militaires devront redoubler d'ingéniosité et de prudence, surtout avec leur ancien Lieutenant, Pradelle dans les parages, semblant lui aussi être mêlé à des affaires douteuses. Albert et Edouard parviendront-ils au bout de leur entreprise sans être démasqué dans leur clandestinité ? Peut on encore surmonter le traumatisme de la guerre et vivre heureux même en étant une "gueule cassée" ? Quel est le rôle et la place de l'Art dans la société d'après guerre ?
Et si là était la solution, l'Art comme moyen ultime de lutter contre la mort ??
Voilà pour le pitch global.
Verdict : Une véritable oeuvre d'Art !! Un vrai tableau de cinéma, une "Toile Cinématographique (je viens d'inventer ce terme mais j'l'aime bien !). Vraiment, "Au revoir là haut" est un film passionnant sur bien des points. A travers l'adaptation du roman de Lemaître, l'acteur du "Convoyeur" (2004) et d'"Un long dimanche de fiançailles" (2006) nous livre ici un film d'une ambition esthétique remarquable à travers cette fresque peinte d'une main d'artiste !
Avec "Au revoir là haut", le réalisateur transforme sa caméra en pinceau et met en scène une transposition très réussie de la France de la fin des années 1910's à travers l'histoire de ces deux vétérans. Le plus gros et indéniable atout du film est son esthétique, pour un budget élevé à pas loin de 20 millions d'euros, Dupontel l'utilise de la manière la plus utile qui soit. Ainsi, le film parvient à nous immerger pendant 2h dans le portrait d'un Paris mondain/aristocratique fait de grands boulevards de pavés, esthétiquement impeccablement restitué, haut en couleurs dans une ambiance typique mondaine-cabaret-Music hall dans un contexte économique à la Zola, à l'époque florissante de l'Art Abstrait et du Futurisme, dans une époque de recherche, de remises en question sur le rôle fondamental de l'Art et de redéfinition des valeurs/conventions/moeurs artistiques, prémices des premières Avants Gardes...une réussite technique complète !
L'histoire d' "Au revoir là-haut" est plaisante et intéressante, tantôt comique, tantôt dramatique, le réalisateur arrive bien à alterner les élans entre poésie picturale et la dure réalité des souffrances/séquelles pour les "gueules cassées" (on pensera au tableau d'Otto Dix: "Les Joueurs de Skat" de 1920) même si on a vite fait de s'emmêler les pinceaux à travers tout ces complots d'escroqueries, les relations entre les personnages en sous intrigues qui composent la toile. En plus de faire un éloge en lyrisme de la Peinture et du Dessin, Dupontel interroge ici le rôle même de l'Art, en revenant sur la conception philosophique de Malraux selon laquelle : "l'Art est la seule chose qui résiste à la mort". De ce postulat, le réalisateur rajoute une petite couche de sous lecture sur la question du lien entre l'Art et la Mort pour tapisser le fond de sa toile et une autre plus explicite sur l'Art Abstrait (courant en vogue à l'époque du film).
Autre point capital, tout au long du film, s'opère un très ingénieux jeu sur les symboles, notamment celui du masque qui est LE centre du film !
Très malin, le réalisateur semble jouer de cette notion à tous les niveaux et il la maîtrise ! Car dans "Au revoir là-haut", le masque caractérise d'abord


Edouard, qui porte un masque pour cacher sa bouche défigurée,


mais en y réfléchissant bien, le symbole du masque intervient à plusieurs niveaux superposés. Il y a d'abord le masque physique présent dans le film, très vite, le masque devient un vecteur de sens caché symbolique caractéristique de tous les personnages. Car dans le film, tous les personnages portent en fait un masque visible ou invisible. Dupontel bascule quasiment dans une dimension théâtrale pour le coup.


On interroge la notion même de masque dans les dialogues entre les personnages à travers une notion triple : Le masque objet artistique, puis le masque suggérer dans le mensonge et la personnalité des personnages...qui portent même un masque vis à vis de nous spectateurs !


C'est un jeu assez génial mais qui à défaut d'être génialement bien pensé....ce petit jeu se retourne contre toi mon cher Albert ^^.
Je veux dire par là qu'à force de jouer sur les multiples métaphores/doubles sens du masque, les personnages par rapport au spectateur....n'enlèvent finalement jamais ce masque en question.
Tout au long du visionnage j'ai eu l'impression que les personnages n'enlevaient jamais leur masque, qu'ils ne se montraient jamais tel quel au spectateur à travers l'écran et du coup, l'identification n'est que partielle. Conséquence, j'ai eu ce sentiment assez....abstrait (c'est le cas de le dire ^^) assez gribouillis...aucune tristesse, aucun rire ne s'est manifesté en moi alors que tout autour toute la salle (70% des spectateurs avaient plus de la quarantaine) était parfois plongée dans un grand fou rire.
Niveau casting, Dupontel est tout à fait à l'aise et réussit à amuser la galerie autant qu'à émouvoir dans son jeu (même si son personnage aurait pu gagner encore en profondeur), Niels Arestrup réussit même s'il parle peu à avoir une présence dans le film, même si ce genre de rôle de Patriarche froid et sévère reste classique et qu'on a déjà vu ça dans "De battre mon coeur s'est arrêté" (2005) et "Un Prophète" (2009) de Jacques Audiard. La meilleure surprise reste Laurent Laffite qui, sous l'uniforme de Lieuetnant autoritaire et manipulateur surprend de manière positif tant on le connaît pour des rôles plutôt de comédie, "De l'autre côté du Périph" (2012), "16 ans...ou presque" (2013) ou le récent "Papa ou Maman" (2015).
Mais Le problème avec le film, c'est que le tableau de Dupontel, aussi beau soit-il...manque d'une certaine Perspective. Comme on est aux portes des années 1920 dans le film, il me paraît approprié de citer ici le concept d' "Oubli Esthétique" de Riccioto Canudo (1877-1923), théorisé en 1921 pour expliquer ce qui pour moi biaise le film. L'Oubli Esthétique, cette façon qu'on a de se projeter dans un film en nous identifiant aux personnages jusqu'à nous oublier nous même...devant "Au revoir là haut", malgré le charme esthétique "pictural" incroyable du film, je n'ai pas réussi à traverser la toile du film et j'en suis resté à contempler le tableau depuis mon siège.
Malgré tout, "Au revoir là-haut", reste une très bonne découverte, le film possède un charme certain qui ne fait aucun doute et qui à coup sûr, deviendra d'ici quelques années un classique du Cinéma Français.

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le 24 nov. 2017

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L_Otaku_Sensei

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