Un film historique ayant pour sujet la guerre de 14-18. Cela peut sembler curieux de voir Albert aux commandes d'un tel projet, le guignol nous ayant plus habitué aux comédies délirantes à petits budgets qu'aux films d'époques à 20 millions d'euros.
Pourtant c'est un projet qu'il porte en lui depuis 15ans. Lorsque l'acteur participa au tournage d'un Long Dimanche de Fiançailles et que, prit d'admiration pour le travail de son ami Jeunet, il décida qu'il tournerait lui-aussi un film de guerre quand l'occasion se présenterait.
Aujourd'hui, grâce au succès de 9 Mois Ferme et sa rencontre avec le roman de Pierre Lemaître, son projet voit enfin le jour et c'est une bouffée d'air frais dans le cinéma français.


Pour la première fois depuis des lustres, nous avons enfin un vrai film historique qui a de la gueule dans nos contrées. Au revoir là-haut est truffé d'effets spéciaux comme toutes les grosses productions de ce type et même si les SFX sont parfois un poil trop visibles, ils parviennent néanmoins à s'insérer harmonieusement avec les somptueux décors et costumes du long-métrage. A cela s'ajoute un étalonnage magnifique rappelant le cachet visuel du cinéma des années 60-70 une photographie que le chef op est parvenu à retrouver même à partir d'une image numérique.
Tout ceci créer une direction artistique aux petits ognons qui contribue à rendre un univers vivant et parfaitement crédible aux yeux du spectateur malgré un budget dérisoire au regard d'une production américaine.


La mise en scène n'est pas en reste et contribue grandement au charme du film. Dupontel fidèle à lui-même multiplie les effets tape à l’œil et sophistiqués. Seulement, si ces derniers servaient autrefois à ancrer ses longs-métrages dans des univers délirants et cartoonesques, ici c'est un changement d'ambiance radicale par rapport au reste de sa filmographie.
Toutefois, le style si particulier du réalisateur se marie parfaitement avec le ton plus "sérieux" de l'histoire. La mise en scène aussi excentrique qu'elle soit ne vient jamais parasiter la teneur dramatique du récit mais participe au contraire à la renforcer. Chaque plan équivaut à une nouvelle idée, chaque séquence rivalise de trouvailles et d'ingéniosités pour servir le récit de manière symbolique ou sensorielle sans que rien ne semble de trop ou de mauvais goût. L'esthétique globale prend même parfois des allures d’impressionnisme allemand ce qui accentue l'aspect poétique de l'histoire racontée.


Une histoire d'ailleurs riche en thématiques que l'auteur adapte avec brio. Il y est fait mention de la Grande Guerre et de toutes les atrocités auxquelles elle est rattachée. Dupontel prend ici la défense des pauvres soldats arrachés à leur vie au nom d'un patriotisme injustifié. Ces malheureux qui reviennent traumatisés, défigurés par les combats et à qui la réinsertion professionnel s'avère difficile. Cela laisse bon nombre de soldats sur le carreau durant l'entre deux guerres pendant que les plus riches qui les ont envoyer au casse pipe coulent des jours heureux. Certains comme l'ignoble Pradelle trouve encore le moyen d'abuser d'eux par le biais d'un trafic mortuaire lié aux dépouilles des anciens combattants.
Aussi, Édouard Péricourt est la conséquence directe de cette guerre meurtrière. Artiste défiguré se sentant trahi par son père l'ayant envoyé sous les balles, il a choisit de s'exiler tel un monstre reclus dans son univers emprunt de fantaisie et de dadaïsme. Sa vie et son talent, il décide de les mettre à profit dans une gigantesque escroquerie visant à arnaquer des bourgeois désireux d’ériger leurs monuments aux morts. Ainsi par ce geste hautement symbolique, ce n'est pas l'argent qu'il cherche, mais bien la vengeance face à une société et une figure paternelle qu'il rend responsable de sa déchéance.


Dupontel parvient donc sans mal à nous emporter dans son intrigue pourtant peu attractive au premier abord, l'histoire ne s'articulant pas autour d'une trame manichéenne avec des enjeux forts. C'est donc surtout les personnages et leurs évolutions qui seront au cœur du long-métrage, des protagonistes tous très intéressants à suivre.
D'une part grâce à l'interprétation sans faille de l'ensemble du casting. Mention spéciale à Laurent Laffite incarnant un être perfide avec beaucoup de justesse et de subtilité, mais surtout à Nahuel Pérez Biscayart qui parvient à exister et à se rendre monstrueusement attachant rien qu'avec la puissance de sa gestuelle et de son regard. Un exercice dont seuls peu d'acteurs sont finalement capables et qui confirme le talent inestimable de ce jeune garçon découvert le mois dernier dans 120 Battements par minute.
Mais ce qui fait également tout le sel des personnages, c'est bien entendu le soin tout particulier apporté à leurs caractérisations. Un aspect capital dans le cinéma de Dupontel où chaque perso à l'écran quelque soit son temps d'antenne bénéficie d'une personnalité et d'un fort trait de caractère qui le rend instantanément vivant et mémorable. C'est également le cas dans Au revoir là-haut, il n'y a qu'à voir le personnage de Joseph Merlin pour s'en rendre compte. Ce dernier n'est somme toute qu'un pion servant à faire avancer le scénario dans la bonne direction. Il n'est présent que pour une scène clé et ne réapparaitra plus après avoir joué son petit rôle dans cette histoire. Pourtant dès son apparition à l'écran, la manière dont il est introduit, ses répliques et le jeu sans faute de Michel Vuillermoz en font un personnage mémorable.


L'humour est aussi un élément de poids au sein de cette œuvre. On aurait pu craindre que l'auteur n'y renonce devant la gravité de son sujet, afin de sombrer corps et âme dans le mélo-drame, or c'est tout le contraire qui se produit. Dupontel a toujours eu la vocation de réaliser des "drames rigolos" et il n'y est jamais autant parvenu qu'avec ce film. L'humour est bien présent et ce sans dédramatiser le récit, grâce à un subtil dosage qui fait naître le comique à des situations propices ou par le biais de personnages sans forcément que nous le voyions venir. Il parvient donc à mettre le rire au second plan pour ne pas perturber l'émotion, chose qu'il n'était jamais parvenu à accomplir. Ses précédents films tirant en effet leur force comique de leur constante dédramatisation.


Si le scénario est l'une des plus grandes réussites du film, il n'est toutefois pas exempt de défauts. Des longueurs inutiles viennent ça et là alourdir la narration et ralentir inutilement le rythme du long-métrage. A l'inverse certaines séquences pourtant magnifiques sont si expéditives que l'on en vient à se demander pourquoi elles ont finalement été gardées au montage ? Je pense bien-sûr à la séquence de la réception bourgeoise, largement reprise dans la bande-annonce et qui ne dure ici que l'espace d'une minute et demie. Ensuite, je trouve que certaines relations manquent cruellement de développement. Je ne parle pas ici de l'amitié entre Albert et Edouard qui, bien que sommaire se révèle tout à fait efficace ; ni de la relation entre Pradel et son épouse qui prend toute sa profondeur dans deux magnifiques scènes riches en émotion. Non, je fais ici référence à l'amitié unissant Edouard et la petite fille Louise lui servant d'interprète et de complice privilégiée. On voit nettement à l'écran que ces deux là ont une grande complicité, qu'ils se comprennent aisément et qu'ils sont sur la même longueur d'onde, mais à aucun moment on ne perçoit la nature de ce qui les unis. Cette fille semble débarquée comme une ponctuation sur une ligne de texte. Elle n'a aucun passé, aucune personnalité et s'attache de notre artiste excentrique du jour au lendemain. Je trouve ça vraiment dommageable car ce personnage noue la relation la plus profonde qui soit avec notre héros, alors que paradoxalement ça semble être la moins crédible. De plus, vu son importance dans l"intrigue, on peut légitimement regretter qu'elle ne soit pas un peu plus étoffée que cela.
Plus dérangeant encore est la relation que noue Albert et Pauline, la bonne des Péricourt. Leur romance semble sortir de nulle part. Ils se voient deux fois sans que la moindre affection entre eux ne soit effleurée, pour que quelques scènes plus tard Albert retrouve madame en la dragouillant lourdement. Ni une ni deux qu'elle tombe visiblement sous son charme, avant de le larguer aussitôt lorsqu'elle découvre la vérité à son sujet. Ok... Alors expliquez moi pourquoi la coquine se retrouve tout sourire à attendre Dupontel au commissariat pour le happy end final ? Y a quelque chose de profondément incohérent dans ce développement.


Bon après, je vous l'accorde mes reproches sont un peu du chipotage, j'en suis conscient. Toutefois à ces petites faiblesses d'écriture s'ajoute un gros point noir qui entache sévèrement le film, sa fin.
En effet, si durant les deux tiers du long-métrage l'histoire se déroule sans accroc, tout s'accélère drastiquement vers le dénouement final, donnant lieu à un troisième acte bâclé et complètement abrupte.
Les évènements qui se produisent lors de ce dernier tiers ne sont pas mauvais en soit, mais rien ne semble amené correctement et surtout c'est bien trop expéditif pour avoir suffisamment d'impact.


Une fois la supercherie de nos héros démasquée, Albert décide sur un coup de tête de buter son ex-supérieur. Alors certes en faisant cela il parvient à vaincre la peur que cet homme lui insufflait mais il choisit de commettre un meurtre par colère sans que sa victime ne le menace directement. Cet acte nous semble donc moins légitime et beaucoup moins jubilatoire que si il avait été réalisé dans d'autres circonstances. D'autant qu'il meurt finalement comme une merde enseveli sous la terre. Oui la symbolique est belle mais dans les faits c'est quand même une belle mort de merde.
Ensuite, le père d'Edouard finit par retrouver son fils pour lui déclarer tout l'amour qu'il lui porte et lui faire ses excuses pour le mal qu'il a pu lui causer. A ces mots, le fiston saute dans le vide sans prononcer une seule parole. Euh.... Pourquoi ? NON ! Je sais très bien que vous allez me répondre "bah il était costumer en oiseau donc il s'envooooole" merci Jean-Sébastien, j'ai fais un Bac L moi aussi, je suis capable de reconnaître une métaphore filée quand j'en vois une. Simplement, le personnage n'a aucune raison de se suicider maintenant. Je veux bien admettre que sous ces masques et cette jouissance à escroquer les bourgeois se cache un profond mal-être symbolisé par la prise quotidienne de morphine. Mais la base de cette dépression, n'était ce pas le rejet d'un père qui l'a envoyé à la mort ? Un père dont il pensait qu'il n'éprouverait pas le moindre remord à avoir fait de lui un monstre ? Je ne dis pas que de se réconcilier avec lui devrait subitement faire disparaître ses tourments intérieurs, mais ça devrait réduire l'espace d'un moment ses pulsions suicidaires. Ok je ne suis pas psychologue et je ne sais pas ce que j'aurais fais dans cette situation à sa place. Mais si je vous dis ça, c'est parce que j'ai trouvé ce geste facile et mal amené. Comme si Dupontel voulait à tout prit terminer l'arc de son héros de la manière la plus tragique qu'il soit sans que se soucier de sa cohérence narrative.
Du reste, je n'épiloguerais pas sur ce happy end incroyablement forcé où notre voyou se barre tranquillement avec la femme qui le détestait 5min plus tôt et qui n'aura apprit aucune leçon de cette drôle d'aventure. Parce que c'est peut-être ça le plus frustrant dans celle conclusion. Le film est très bon mais on a l'impression qu'il n'amène à rien, qu'il ne concrétise rien. Aucun climix, aucune remise en question des personnages, aucune concrétisation cohérente et satisfaisante de leur arc narratif, juste cette fin en queue de poisson qui surprend autant qu'elle déconcerte car elle ne donne pas la sensation d'avoir été correctement amenée par le reste du long-métrage.


Voilà pourquoi malgré l'admiration que j'ai pour Au revoir là-haut et pour Albert Dupontel en particulier, je reste déçu par mon visionnage.
Longtemps méprisé par la critique bourgeoise qui ne voyait en ses oeuvres que des films bruyants et bordéliques, je me doute bien que ces mêmes gens changeront radicalement de discours devant ce film historique poétique qui a tout pour leur plaire. Nulle doute que Dupontel aura enfin la reconnaissance qu'il mérite et que l'on érigera ce film comme le meilleur de sa carrière.
Or, Au revoir là-haut a beau être son œuvre la plus ambitieuse, la plus créative, la plus maitrisée d'un point de vue technique, c'est malheureusement la moins aboutie dans son scénario et c'est ce qui la rendra à mes yeux moins réussie que Bernie ou Le Créateur, films plus foutraques, outranciers et moins émouvants mais plus solides dans la concrétisation de leurs ambitions.

AlfredTordu
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le 2 oct. 2017

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Alfred Tordu

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