Fan inconditionnel de Dupieux depuis son premier film, j'attendais impatiemment de voir son dernier né afin de pouvoir y retrouver le même univers décalé, original, fun et hilarant de ses précédentes œuvres. Après avoir vu une interview dans laquelle le réalisateur déclarait : "Les gens m'ont catégorisé dans une case un peu trop vite et je pense que mon prochain film leur donnera une autre image de mon cinéma", j'étais doublement hypé. Et quand j'ai su que le film emprunterait des allures de David Lynch, je suis devenu hystérique. Peu importe mon manque d'affection pour le réalisateur de Mulloland Drive, le concept me vendait du rêve et je voulais absolument voir le résultat final le plus vite possible. La déception fut grande, mais ne m'a pas sauté aux yeux instantanément.

Tout d'abord, ceux qui considèrent le film comme hilarant, sont de gros mythos. Je suis navré mais Dupieux nous a quand même habitué à un cinéma bien plus amusant, où l'absurdité et le No Reason, trouvaient justement un sens dans le besoin de donner des films originaux et monstrueusement funs, où l'on se surprend à rire sans raison, le tout teinté d'une poésie surréaliste qu'on est susceptible de voir ou pas, selon la sensibilité de chacun.

Réalité marque un tournant dans la carrière du metteur en scène. Celui-ci, construisant son oeuvre comme un récit labyrinthique autour de la notion de rêve et de réalité, en y insufflant une ambiance très particulière et à l'opposé de ses autres longs-métrages. De ce fait, le film n'est jamais drôle et ne cherche pas spécialement a l'être. Seules de très rares scènes m'ont fait esquisser un sourire, d'autres m'ont paru en revanche beaucoup trop lourdes, comme le long running gag où Lambert hésite à discuter à l'intérieur ou à l'extérieur de son bureau. On est quand même très loin de la folie jouissive de Rubber ou Wrong Cops. Après le fait qu'il ne soit pas drôle, n'en fait pas forcément un mauvais film, mais étant donné qu'il est vendu comme une comédie absurde dans la même lignée que ses prédécesseurs, qu'il a fait le festival d'Alpes d'Huez et que Jonathan Lambert est fier d'avoir participé au renouveau de la comédie en tournant ce long-métrage, permettez moi d'avoir quelques frustrations sur cela.

Mais quoi qu'il en soit, Réalité se veut bien plus ambitieux et recherché qu'un simple délire expérimental cool dont il a le secret. Dupieux nous présente trois intrigues parallèles censées appartenir à trois réalités différentes mais qui se rejoignent pourtant de façon complètement aléatoire et sans aucune logique. Comme à son habitude, le cinéaste joue avec les codes du cinéma pour les retourner et construire sa propre histoire totalement originale et jamais vue, sauf que cette fois il a l'intention de nous plonger dans un gigantesque mindfuck dans lequel vous vous triturerez les méninges jusqu'à l'implosion. Durant toute la séance, j'ai pensé à tort que Quentin faisait effectivement son David Lychn et qu'il était important de faire attention à chaque détail pour comprendre le sens profond et philosophique de son oeuvre. L'objet étant suffisamment étrange pour être fascinant, j'ai passé les 1h30 de film en mode "réflexion intense" et je ne me suis donc pas ennuyé. Mais quand j'ai compris que le film se foutait de ma gueule et qu'il n'y aurait en fait aucune réflexion derrière l'oeuvre, forcément je suis ressorti.....pas déçu, mais plutôt : "circonspect" pour reprendre une expression du film.

Ben oui, parce que c'est bien jolie de faire un film volontairement bordélique et incohérent, mais s'il n'y a pas le côté fun et jouissif derrière, quel est l'intérêt de perdre une heure et demi de sa vie à mater ça ? Le film n'est intriguant qu'au premier visionnage, quand on ne sait pas ce qu'il va nous servir et qu'on espère avoir une réflexion derrière tous ça, mais après l'avoir vu, quel intérêt de le revoir ? Parce qu'à l'inverse de ses anciens OVNIS, celui là ne comporte pas de scènes spécialement jouissives, y'a effectivement quelques moments un peu poétiques qui parleront à certains plus qu'à d'autres, mais absolument rien de vraiment marquant. J'ai passé un moment agréable en le découvrant, mais ça ne m'intéresse pas de le revoir, parce que je suis sûr que passer la surprise de la découverte, le film deviendrait chiant au deuxième visionnage. Et je trouve ça dommage, parce que là pour le coup les détracteurs de Dupieux ont raison. Y faut un certain talent pour créer une oeuvre fun et divertissante en faisant une histoire absurde et illogique retournant les codes du cinéma, mais si c'est juste pour faire le film le plus bordélique et whathefuckesque possible en donnant simplement un semblant de profondeur pour intriguer le spectateur au premier visionnage, ça je suis désolé mais tous le monde peut en faire autant.

Vous allez me dire que j'ai tort de réagir ainsi, car je savais pertinemment en allant voir le film qu'il serait différent des autres et que je ne devrais pas demander à Dupieux de toujours refaire la même chose, au risque de voir son cinéma sombrer rapidement dans la répétitivité et la lassitude. Certes, mais je ne m'attendais pas à ce que le réalisateur renonce à ce qui me plaisait le plus et ce qui marchait le mieux selon moi dans son cinéma, pour se contenter au final de nous livrer une oeuvre loufoque et percutante mais qu'on n'oubliera vite et qu'on ne prendra pas plaisir à remater.

PS: Un mot tous de même sur l'interprétation des comédiens que je me devais de saluer tant je les trouve tous excellents et débordants de justesse. Ils apportent beaucoup au film et en sont pour moi la principale qualité.
Alfred_Tordu
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le 20 févr. 2015

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Alfred Tordu

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