Pour sa première mise en scène, Alice Winocour n’a choisi ni la facilité, ni la simplicité : film en costumes, sujet difficile, peu de glamour et pas de concession (pour un résultat envoûtant et convaincant). Le scénario s’inspire d’une histoire vraie, celle d’une jeune domestique victime de violentes crises d’hystérie et qui deviendra l’une des patientes les plus célèbres du professeur Charcot. On pense naturellement, et sans que, jamais, cela ne constitue en soi une entrave ou une gêne, à la Vénus noire d’Abdellatif Kechiche avec lequel Augustine partage l’âpreté et le refus d’une démonstration trop classique, et à A dangerous method de David Cronenberg (sur un sujet quasi identique).

Mais, à l’inverse de l’académisme empesé du film de Cronenberg, Winocour lui préfère une liberté de ton et de manœuvre, une atmosphère étrange à la limite du fantastique, du conte gothique revisité (le professeur et sa créature qui lui échappe). La photographie, superbe, de Georges Lechaptois accentue les ombres, magnifie les noirs, et diffuse le reste des couleurs comme de splendides émanations de peinture (le travail de Lechaptois rappelle celui de Benoît Delbonnel sur le Faust de Sokourov), et la plupart des scènes donnent parfois l’impression d’admirer des gravures mélancoliques, des tableaux d’outre-tombe ou un film soudain ressuscité de la Hammer, de succube ou de suceur de sang.

C’est dans la douceur de ces climats funèbres (et en même temps très charnels) que Winocour scrute, sonde avec raffinement la relation tortueuse entre Augustine et Charcot, jamais évidente, rarement énoncée, mais qui, finalement, prendra le pas sur l’enseignement médical. Leurs rapports d’abord froids, cliniques (Augustine est considérée comme un simple sujet d’études, un "animal" qu’on exhibe et qu’on ausculte), constitués uniquement d’ordres et d’injonctions comme ceux qu’un maître dirait à son esclave ("Assieds-toi", "Déshabille-toi", "Lève les bras"…), vont imperceptiblement glisser vers d’autres chemins plus entêtants, indicibles (désir amoureux, objet de conquête ?) et éphémères.

Tout y est affaire de sombre romantisme (et tout y participe aussi : la musique lancinante de Jocelyn Pook, les décors, les costumes, les peaux laiteuses, l’automne blafard au-dehors…) et d’érotisme sans cesse entravé, déréglé (scène déroutante, et presque de triolisme, entre Augustine, Charcot et sa capucine), fait de planches anatomiques, de sangles et d’appareils étranges (le sinistre corset-godemiché qui évoque les terrifiants outils de Faux-semblants ; Cronenberg, encore) qu’Augustine semble défier, infirmer par sa maladie et son innocence du monde dont elle peut juger de peu (elle ne sait ni lire ni écrire, ignore ce que sont les menstruations…). Il n’y a que non-dits, méprises, troubles et absences, regards incertains et mots d’amour crus chuchotés la nuit, en sueur sous les draps blancs, trempés.

Ce lien fort, souterrain et impalpable, qui unit Augustine et Charcot, et dont l’achèvement aura forcément quelque chose de déceptif, d’un gâchis immense, a beaucoup à voir avec l’hypnose, non seulement dans sa pratique prodiguée par Charcot pour tenter de comprendre et de braver ce mal qui abîme Augustine (paupière close, main paralysée, cambrures et contorsions obscènes…), mais aussi dans l’aura sourde et mystérieuse de la jeune servante qui semble dérouter, prendre au piège l’éminent médecin. Soko (la belle révélation de À l'origine) et Vincent Lindon donnent fièvre et corps à ces deux personnages solitaires, faillibles, passionnés à leur façon, et si le scénario captive moins à un moment, si le film perd de son attrait à un autre, eux en tout cas l’emmènent et l’éblouissent jusqu’au bout.
mymp
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le 9 nov. 2012

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