Certains quartiers résidentiels ne concentrent pas le désespoir des femmes au foyer mais la violence de génération sans foi ni loi. A la BAC Nord de Marseille, les flics qui patrouillent dans les rues pour traquer les crimes en tout genre ont plus intérêt à avoir le sang chaud que froid aux yeux. Sprints olympiques, conduite à grande vitesse, négociations à hauts risques, le film donne vite le ton, tendu et haletant.
Entraîné dans un coup de filet antidrogue de grande envergure, le spectateur, shooté à l’adrénaline, endure cette reconstitution épique aussi fébrile qu’abasourdi par la découverte d’une quasi-zone de guerre. Difficile alors de ne pas éprouver admiration et empathie pour des hommes au mental d’acier et au courage héroïque ; des héros qui ne sont pourtant pas épargnés par les doutes, le sentiment d’impuissance, la démotivation et qui s’accrochent à leur vie ordinaire solitaire ou familiale comme un rempart fragile à l’ingérable. Sous les traits tirés de Gilles Lellouche, François Civil et Karim Leklou, les trois durs à cuire sont attachants et magistraux.
Au-delà de l’action, ce sont des drames psychologiques dans des impasses morales qui se jouent. Librement inspiré du scandale qui a entaché la brigade de Marseille en 2012, Bac Nord montre (ou dénonce?) qu’assurer la sécurité nationale n’est pas qu’une affaire d’éthique, c’est aussi une affaire de mathématiques, de « chiffres » à remonter au Ministère pour justifier d’une certaine efficience. Mais dans les cités où l’organisation criminelle est bien rôdée et ses protagonistes lourdement armés, on n’obtient pas sa prime quali en alignant les contraventions et l’efficacité policière ne suit pas les process homologués sur PowerPoint.
Comme dans les Misérables de Ladj Ly, les héros déchus à cause de leurs méthodes équivoques, écartèlent notre bonne conscience de spectateur tranquillement assis sur le strapontin rembourré du cinéma : la fin, c’est-à-dire l’ordre, justifie-t-elle tous les moyens ? Mais quels moyens ? Que reste-t-il à un système judiciaire dépassé par le dérapage complétement incontrôlé de certains quartiers dans le grand banditisme ? le système D de flics casse-cous, les nerfs à vif, comme une rustine sur un trou béant ?
Tout l’enjeu est sans doute moins de nous indiquer où positionner le curseur moral et politique, que de remettre en question une vision simpliste, et surtout déconnectée de la réalité, de la lutte entre les « bons et les méchants ». C’est finalement le vide laissé par ce spectacle d’une société mal en point qui est plombant : que faire du diagnostic quand on n’a pas de perspective ?