7,5/10
J’avais ainsi été assez peu sensible aux deux précédents longs métrages. Tout en admettant volontiers leur puissance, je les avais trouvés froids dans leur dureté, et plus démonstratifs que touchants, ce qui minimisait naturellement mes attentes par rapport à Baccalauréat, auquel je faisais un bien mauvais procès avant de l’avoir vu : cette histoire d’un père qui pénètre par amour pour sa fille dans l’engrenage de la corruption parvient à évoquer avec nuance et émotions ce qui, chez un autre — ou plus tôt dans la carrière de Mungiu — n’aurait été qu’un autre brûlot contre la société contemporaine.


Si je mentionnais les Dardenne, c’est un autre nom d’auteur au palmarès impressionnant qui vient à l’esprit quand on regarde Baccalauréat, et c’est celui de l’Autrichien Michael Haneke — dans Le Ruban blanc duquel a d’ailleurs joué Maria-Victoria Dragus, interprète de la fille dans Baccalauréat — en particulier à cause des éléments de trouble que Mungiu dissémine dans le film (des vitres brisées, un enfant qui garde un masque, un chien presque renversé…) et qui saisissent aussi bien le personnage du père que le spectateur sans que ni l’un ni l’autre ne sache réellement les comprendre.


Cela contribue à faire de Baccalauréat le film le moins directement politique et le plus agréablement complexe de la filmographie de Mungiu. Même si le réalisateur dénonce l’échec de la génération post-Ceausescu à reconstruire la Roumanie, et rappelle l’espoir placé dans les jeunes générations, il fait preuve d’une passionnante retenue. L’agression de la fille du médecin Roméo, la veille de ses examens, ne s’est ainsi pas achevée en viol ou en mutilation, mais n’est visible que dans le plâtre qu’elle porte au bras et dans le choc psychologique dont elle révèle délicatement les symptômes. Le mot « corruption » est toujours remplacé par un champ lexical de la serviabilité, les rapports d’entraide ne sont jamais monétisés, ils concernent de petits notables de la ville de Cluj et jamais des piliers de la société, comme s’il ne s’agissait en effet que d’aide apportée à des connaissances…


Après deux films cédant davantage au spectacle, Mungiu se retient de toute image éprouvante, de toute situation excessivement dramatique. Avec ses personnages ordinaires brisés par la vie, luttant à leur manière dans une société qui autorise les « services » sans porter les traces d’une profonde sclérose, sa réticence à donner des réponses toutes faites, il livre une œuvre d’une inattendue humanité et empathie, qui parvient avec une délicatesse infinie à explorer l’abdication morale comme inconsciente de son personnage, et à parler sans thèse de la relation entre enfants et parents, de la difficulté d’assumer sa morale au quotidien, des rapports sociaux…


https://cinemaeldorado.files.wordpress.com/2015/04/lettre90diff.pdf

XipeTotec
8
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le 20 août 2017

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