... ou des méfaits du cinéma d'auteur

Baise-moi, c'est un peu comme une légende urbaine. Tout le monde en a entendu parler mais peu peuvent en témoigner. C'est que finalement, l'intérêt de ce film réside plus dans son intention que dans sa forme. Baise-moi est à l'image de son titre provocateur. Rude et embarassant. C'est à demi-mot que l'injonction se prononce, n'ayant pas sa place en public. Le film de Virginie Despentes est un objet obscur, qui n'est que peu approprié à la salle de cinéma. Son usage serait plutôt celui de l'intimité. Virginie Despentes ne s'embarasse pas de soucis de forme. Elle offre une image brute, désertée de toute esthétique. Et de toute pudeur. Baise-moi n'a rien à cacher. C'est ce qui a contribué au tapage médiatique autour du film. La dimension pornographique du film jusque-là jamais atteinte dans un film se revendiquant "d'auteur" a affolée les journalistes et la censure, le condamnant à une interdiction aux - de 18 ans en salles. Mais le film a pu sortir sur les écrans tout de même. Pourquoi ? Parce qu'il s'agissait de Virginie Despentes ou est-ce que son intérêt dépasse la provocation voulue ?

Le film de Virginie Despentes peint le portrait de deux femmes, borderline, se rencontrant par hasard et laissant ce hasard faire pour se laisser aller à leurs plus bas instincts de sexe et e violence. Nadine le dit elle-même, elles n'ont "aucune circonstance atténuante" pour leurs crimes. La satisfaction de leurs désirs est leur seule justification. Mais la vengeance apparait sourdement comme l'origine primaire de leurs crimes. Une vengeance qui ne serait pas directement dirigée mais plutôt générale. Contre la société et contre les hommes. Manu et Nadine profitent des hommes, les volent et les tuent. Elles deviennent alors pires que leurs précédents bourreaux. Baise-moi se revendique comme un film féministe. Un film dénoncant le traitement des femmes, les méfaits de la pornographie. C'est le dessein de Virginie Despentes, quant à sa réalisation, il n'est pas impossible de se demander si Baise-moi fait vraiment du bien aux femmes ? Déjà, c'est appliquer une théorie féministe qui serait de l'ordre de faire ce que l'on reproche à l'autre dans ses comportements les plus déviants. Chercher l'égalité dans la bassesse serait le but à atteindre ? Baise-moi n'est flatteur ni pour l'homme ni pour la femme ce qui en soi, n'aurait rien de choquant si il n'était pas revendiqué comme féministe.

Le deuxième point qui soulève des questionnements chez moi à propos de ce film prétendument féministe, est l'utilisation de la pornographie. La plupart des acteurs du films sont des acteurs de films pornographiques ayant accepté ce petit écart dans leur carrière sous la demande de Virginie Despentes et sa co-réalisatrice Coraline Trinh Thi. Un désir de reconnaissance dans un lieu autre que celui cloisonné et obscur des films X ? En tout cas, pour les deux actrices principales, ce fut un désir de s'éloigner de l'industrie pornographique qui les a heurtées au point que Karen Bach, l'interprète de Manu, se suicidera 5 ans après Baise-moi. Cette tragédie n'a rien à voir avec le film mais pose tout de même la question de l'utilisation de la pornographie pour la dénoncer. Etait-ce rendre service à ces femmes que de les montrer dans ce pour quoi elles avaient aqcuis leur notoriété et ce contre lequel elles se battaient ? L'intérêt pornographique de Baise-moi semble être seulement provocateur. Les scènes pourraient se passer sans peine de la volonté de tout montrer de Virginie Despentes. Mais elles soulèvent un point important qu'est l'utilisation du corps des actrices. Au-delà de leur volonté et du respect de leur image. C'est ce que montre la scène de viol au début du film où l'acte est montré en gros plan, comme l'est n'importe quel acte sexuel dans un film pornographique. Le viol fait partie des inmontrables du cinéma et de l'inavouable en général. Le filmer comme un film X, c'est-à-dire sans rien en cacher, c'est prouver les connexions entre les deux, celles de la femme réduite à l'état de chair.

Loin de résumer le film à ces questionnements de fond, je n'ai pourtant pas beaucoup plus à dire au sujet de la forme. Le cinéma de Virginie Despentes choque par les thématiques, la violence du propos et de ce qui est montré mais à l'image, tout est très neutre et terne. Les acteurs ont des airs de Monsieur et Madame tout le monde tout comme les lieux choisis. Rien n'accroche le regard si ce n'est un sexe exposé de temps à autre. Mais le choix des nuances ne permet pas d'accéder à un aspect cru et glauque ce qui place les actes de ces femmes dans le commun. Pourtant, la réalisatrice tente des choses, des mouvements de caméra qui semblent importuns tant ils sont rares, perdus dans l’homogénéité d'une image-réalité qui se voudrait dénué du mensonge du cadrage. Là aussi est l'erreur de Virginie Despentes qui s'enferme dans cette esthétique tirée d'un cinéma français réaliste dont elle pense détourner les codes par ce qu'elle montre à l'image. C'était judicieux à une époque où le scénario était mis en avant à défaut de l'esthétique mais le film de Virginie Despentes vient trop tard et est déjà désuet. Baise-moi use de trop de stéréotypes jusqu'à la bande originale téléphonée pour être considéré comme un objet unique en son genre. "... ou des méfaits du cinéma d'auteur", la forme n'est pas de moi mais de Geneviève Sellier au sujet de cette obsession française d'ériger un nom à tout prix en lui pardonnant ses erreurs.
Mélanie_Dagnet
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le 13 janv. 2015

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