Ceci n'est pas un film de super-héros

Les enfants sont de merveilleux cobayes MOUAHAHAHAHAHAHHAHAHA


A chaque fois que mes p'tits cousins squattent chez-moi, ils me harcèlent pour que je leur trouve des occupations.
Comme je suis une grosse feignasse, je choisis en général entre deux options basiques qui me feraient virer de n'importe quel centre aéré pour incompétence (et pourtant j'ai le BAFA!) :



  • Les faire jouer à GTA 5


Alors ça, ça marche vachement bien (ils ont entre 4 et 7 ans), ils sont complètement hypnotisés.
Et puis c'est pas mal du tout, parce qu'à la base c'est pas du tout évident de se mouvoir dans l'espace, de viser, de conduire, même si au départ le plus grand d'entre eux ne comprenait pas qu'en persistant à pousser le stick gauche dans le même sens, il continuerait à marcher contre le mur.
On partait de loin...
Progressivement, ils ont pas mal progressé, et ont fini par obtenir un skill tout à fait honorable;


Le seul truc un peu chaud, c'est quand ils choisissent Trevor, sachant qu'il vit dans le strip club. Dans ce cas particulier, je dois prendre la manette en main, et cadrer le sol avec la caméra, tout en trouvant le moyen de sortir de ce traquenard le plus vite possible, en leur évitant de voir trop frontalement gros lolos et strings en liberté.



  • Leur passer un film


Ca c'est vraiment mon plaisir coupable, sachant qu'on leur passe généralement que des trucs insipides, et des dessins animés sans âme, je me dis que je peux à ma modeste échelle, essayer de sensibiliser un peu leur goût.
Et le film que j'avais le plus hâte de leur montrer, c'était le Batman de 1989. J'étais impatient de regarder les réactions du plus grand devant le film. Et ça n'a pas raté.


Dès la première apparition de Batman, en haut des toits, qui ouvre magistralement sa cape, avant d'aller casser la gueule aux voyous, le p'tit cachait ses yeux derrière les mains, complètement terrorisé.


BATMAN FAISAIT PEUR !


C'était donc ça le secret.
Batman n'est pas un héros, Batman est un sociopathe complètement dérangé qui fait aussi peur que le vilain qu'il est sensé appréhender.
Voilà le film de mon année de naissance, qui m'avait complètement marqué au même âge, et qui depuis est resté (et restera) ad vitam eternam dans mon top 10.


Trop de classe et trop de style pour un seul film


A un moment donné, une telle qualité dans la direction artistique, c'est exagéré, pour ne pas dire indécent.
Ce renouvellement du style rétrofuturiste qui a laissé une marque indélébile dans le cinéma moderne, et qui a été repris dans tant de films... Et qui par définition ne vieillira jamais.
Le travail somptueux des maquettistes, dignes du Brazil de Terry Gilliam, pour réinventer dans un baroque grandiloquent la ville de Gotham.


Les yeux pétillent devant un imaginaire si foisonnant, devant ces travellings fous qui escaladent d'infinis buildings renvoyant aux univers de Capra ("l'homme de la rue" et sa tour gigantesque), ces couches complexes de décors qui se mélangent harmonieusement, et cette photo somptueuse.


Jamais vu un tel contraste, la profondeur du noir est tellement puissante, qu'elle permet de faire ressortir violemment les personnages de la pénombre.
Batman, son costume, ses mythiques logos et ceintures jaunesold school, et sa batmobile, n'ont juste jamais été aussi cool qu'ici :
http://image.noelshack.com/fichiers/2015/21/1432460707-michael-keaton-batman.jpg


La composition des cadres absolument formidable, toujours dans un souci baroque, avec grands angles, mise en valeur constante des décors, profondeur de champ, atteignent un degré paroxystique dans ce bouquet final de la cathédrale où toute l'équipe se lâche dans un déluge de coolitude invraisemblable.
Quand Batman titubant, parvient à entrouvrir la porte gigantesque, c'est juste inoubliable et beau à pleurer.
Les partis-pris de mise en scène dans cette confrontation finale aussi interminable que jouissive, sont tellement too much, bigger than life, énormes qu'on s'étonne que tout soit aussi lisible et compréhensible dans une simple succession de plans.


Batman 1989 et les fans de comics


Un des principaux griefs faits au film par les fans du comics, c'est qu'il s'agit plus d'un film de Burton, que d'un film sur Batman.
On touche là au problème de l'adaptation.
J'ai longtemps pensé être un fan de films de superhéros, à cause de ce film (et aussi de la série animée de Bruce Timm qui s'inspire très fortement du travail de Burton dans le style).
J'ai lu quelques comics, et ça m'a pas follement passionné, j'ai vu les films de Schumacher qui m'ont fait marrer, j'ai vu les spiderman de Sam Raimi qui m'ont atterré d'ennui et d'insipidité, et j'ai fini sur les batman de Nolan qui m'ont exaspéré.


Je me suis donc rendu compte au fil des années, que les super-héros ne m'intéressaient absolument pas en tant que tels, mais que ce qui m'avait véritablement plu dans Batman 89 et sa suite, c'était le style du film.
L'empreinte de ses auteurs (parce qu'il ne faut pas oublier Danny Elfman à la composition, qui a un rôle aussi primordial que Nino Rota collaborant avec Fellini, ou Morricone avec Leone) emportait tout le reste.


Mélange inspiré et inspirant d'influences, de styles et d'idées foisonnantes, du film noir au cartoon, l'ensemble s'avère finalement bien plus proche de l'esprit comics que toutes les tentatives d'aseptisation réalistes ultérieures, visant les formats série télé US en vogue.


Les fans intégristes du comics qui péteraient un câble au moindre changement de couleur de la robe de chambre d'Alfred, n'ont surtout pas pardonné la mort du Joker. Pour eux, c'est une trahison suffisante pour disqualifier définitivement le film, en se foutant complètement des questions de cinéma.


La belle et la bête


Burton a eu le nez creux pour imposé le choix de Keaton dans le rôle-titre.
Quel choix judicieux pour obtenir l'anti-héros idéal.
Sa classe est intemporelle finalement, on n'a pas du tout le stéréotype du héros type Christian Bale, play-boy, propre sur lui, lisse, fade.


Bruce Wayne est un kassos.
Ni plus, ni moins. Il perd ses lunettes, il ne sait même pas qu'il est Bruce Wayne, il bafouille quand il essaye d'aborder une blondasse ahurie, il dort à l'envers, il a la tête dans les nuages.
Bref, c'est le mec qui s'est fait victimiser à la récré au collège.


Ca rend le personnage passionnant, parce que le contraste est dingue avec son rôle de justicier masqué.
Là, soudainement, il incarne comme nul autre, la terreur. Jamais on atteint ce degré d'effroi dans les Nolan, ou dans n'importe quel film de super-héros d'ailleurs.
Le regard bleu de Keaton est perçant, et sa vaste mâchoire s'intègre parfaitement dans le masque. (Un peu à l'image de Peter Weller, qui avait été casté par Verhoeven pour la qualité de sa mâchoire dans "Robocop").


Et le duo avec Nicholson est passionnant, parce que les rôles s'inversent en permanence.
On a même dit, que le véritable héros du film, c'était le Joker, et que Batman n'était qu'un second rôle, mais c'est plus compliqué que ça;


La scène la plus symptomatique de ce brouillage de repères entre protagoniste/antagoniste, c'est justement cette unique confrontation entre Bruce Wayne et le Joker.
Soudainement, le Joker qui est un personnage déjanté et exubérant devient très calme, alors que Wayne toujours en retrait (et toujours un peu à la masse), commence à s'énerver avec son tisonnier en mode "je vais te défoncer la tronche", et en prenant des accents diaboliques à la Beetlejuice qu'on ne lui soupçonnait pas.
Comme si Keaton acteur voulait montrer à Nicholson acteur, qu'il ne se laisserait pas voler la vedette, et qu'il avait du jeu à revendre.
Comme si Wayne devenait un vulgaire vilain énervé, que le joker effacerait avec le plus profond des mépris.
Et puis, il y a cette thématique du lien filial entre les deux personnages, et cette question récurrente qui parcourt le film : qui a engendré qui ?
Rarement, on aura ressenti un antagonisme aussi complémentaire et indissociable, deux faces de la même pièce jouant une sinistre farce, où le bien, le mal et tout le reste ne renvoient plus à rien de tangible et de clairement délimitable. Batman 1989 devient un des films les plus intéressants sur la schizophrénie.


Nicholson steals the show


Mais il est vrai que Nicholson est tellement mis en valeur, que le film aurait très bien pu s'appeler "Joker".


Best Villain EVER.


Ce qui est génial dans sa composition, c'est la variation.
D'abord, ce qui fait toute la différence, c'est qu'il ne commence pas en tant que joker.
Il naît joker.
Et la transformation de cette brute raffinée, de ce gangster élégant, en psychotique fou furieux, est remarquable.
De la chute dans l'acide, aux premières séances de chirurgie réparatrice "Le miroir ! LE MIROIR !", des clowneries fantasques, aux meurtres terrifiants, jusqu'à la bouffonnerie pathétique, on admire une palette gigantesque d'émotions.


C'est bien simple : ce joker là, il est formidable, parce qu'il est complètement hors de contrôle, imprévisible.
Il est multiple, et pour le coup une des scènes qui m'avait le plus frappé, c'est celle du rencard avec Vicky, où il peut passer en quelques secondes, du gentleman séducteur au plus dangereux des psychopathes.
Performance absolument saisissante, jouissive, et dérangeante de Nicholson qui compose l'un des plus grands rôles de vilain du cinéma.


And now... Ladies and gentleman...


Pour conclure, parce qu'il serait temps de clore ce billet, même si j'aurais encore des milliards de choses à dire du film, un petit mot inévitable sur l'une des plus belles BO de tous les temps.


Elfman a su reprendre le meilleur d'Herrmann (notamment ses BO sur Fahrenheit 451 si je ne m'abuse) et de Rota pour composer des thèmes sublimes qui sont restés dans la mémoire collective.
Aujourd'hui, il devient très difficile de retenir ne serait-ce que la moindre mélodie de tous ces blockbuster sans âme qui sortent depuis le début des 2000's.
Mais 26 ans plus tard, comment oublier l'interminable montée en puissance du Main Theme de Batman lors du mystérieux générique d'ouverture ?


Comment oublier l'extraordinaire "Descent into mystery" qui a définitivement frappé les esprits, et comment la dissocier de cette légendaire traversée de forêts et de murs ?
Comment oublier ces regards en coin de l'homme chauve-souris, sur la blondasse qu'il escorte, et qui se demande combien de temps il va devoir encore la subir ? (Oui, je ne suis pas fan de Basinger, je le confesse).
Comment oublier la bat cave, tellement immense et caverneuse, qu'elle donnerait le vertige à Alain Robert aka le spiderman grimpeur, avec son thème sombre et calme, et ses chauves-souris par milliers "La race des vainqueurs" ?


Comment oublier l'association improbable avec Prince, imposée par la production, contre l'avis de Burton, et qui prouve qu'un producteur peut aussi avoir de bonnes idées ?


Et cette schizophrénie qui vient jusqu'à contaminer cette BO, qui a poussé Elfman à réinventer sa propre musique, en repartant précisément des partitions de Prince pour composer par exemple un magnifique "Love Theme", et des musiques plus méditatives lorsque Bruce se recueille sur le lieu de la mort de ses parents notamment.


Le love theme d'Elfman : https://www.youtube.com/watch?v=kHw6LcrWPZQ
"Scandalous" de Prince qui a servi de base :
http://www.izlesene.com/video/prince-scandalous-batman-the-movie-soundtrack/6966689


Un mariage entre pop et musiques orchestrales qui confine au sublime, pour une oeuvre somme qui restera à jamais au panthéon des plus grands films américain.

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le 24 mai 2015

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KingRabbit

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