Il y a beaucoup d'aspects des Batman de Tim Burton qui m'énervent, mais je ne peux que m'incliner devant ce film, encore mieux maîtrisé que le premier opus.


Chez Nolan, ce qu'on cherche, c'est à rationaliser le mythe, à l'ancrer dans le contexte actuel pour le faire renaître, mais ça s'essouffle toujours au bout, car le final est condamné à délaisser le réalisme affiché, qui explique la faisabilité de chaque gadget avec la verve d'un ingénieur enthousiaste, là où Tim Burton assume un côté bal masqué qui dit "merde" à tout réalisme. Oui, le pingouin peut s'envoler sur un parapluie-hélicoptère qui est une aberration physique. Oui, il peut faire exploser le sol sous une salle de réception chic pour en émerger sur un canard en plastique géant monté sur vérin. Oui, Catwoman atterrit miraculeusement dans un camion de litière pour chat. Et oui, on peut brouiller le signal qui radioguide des pingouins d'une manière que je n'ai jamais bien comprise (pas plus que la manière dont Catwoman électrocute son ennemi à la fin, vu qu'elle porte du latex).


Et ceux qui sont à la recherche d'un bon film d'action feraient bien de passer leur chemin. La batmobile a l'air d'un jouet et semble se traîner comme un veau pas pratique du tout, le lance-tyrolienne de Batman n'a rien de crédible, les combats contre des clowns de rue, vu ce qu'on fait aujourd'hui au niveau chorégraphie d'arts martiaux, sont parfaitement pitoyables. Et tous ces hommes de main du pingouin déguisés en clowns, toutes leurs bombes/grenades/sulfateuses colorées comme des bonbons à rayures blanches et rouges me piquent les yeux et m'énervent. Le dénouement, au regard d'un standard de film d'action, je le trouve très poussif en termes de rythme.


Mais il y a la ville. Gothique, grandiose. Et les personnages, absolument incroyables. Car là où Nolan s'intéresse aux choix moraux, Burton s'attache à dépeindre des êtres qu'un traumatisme initial pousse à chercher dans le masque, symbole de puissance, un énorme besoin de reconnaissance et d'amour. Catwoman sera à jamais Michelle Pfeiffer, cette secrétaire qui se noie dans un verre d'eau, sauvée de la mort par des chats (scène proprement horrifiante), qui se découvre tigresse à la sexualité agressive, quasiment hystérique. Le pingouin est à jamais un des grands rôles de De Vito, monstre/clochard inquiétant et irrationnel, qui incarne tout ce que la société refoule dans ses profondeurs, derrière l'imagerie officielle. On y perd l'aura aristocratique sophistiquée que le personnage avait dans la série animée, mais on y gagne en terme de symbolique, surtout lorsqu'il dit à Batman "La différence entre toi et moi, c'est que je n'ai pas besoin de masque pour être un monstre" (ce à quoi Batman acquiesce). Et surtout Batman, car jamais Nolan n'a réussi à en faire un psychopathe aussi inquiétant par moment. Il tue des hommes de main avec une froideur qui cache mal une jubilation contenue, et sa protestation à la fin à la réplique de Sélyna Kyle, qui dit "La loi ne s'applique ni à Schreck, ni à nous", sonne comme un déni. Et si Keaton n'est pas physiquement imposant, il capture parfaitement la raideur du personnage au niveau des épaules, et ses yeux farouches qui dardent de derrière les minces fentes de sa cagoule sont saisissants. La sexualité au sein de ce trio est profondément trouble et violente, adolescente.


A la re-vision, j'ai été très ému par la scène de bal au cours de laquelle Bruce et Selyna dansent, et en rejouant une réplique qu'ils ont déjà échangée au cours d'un duel Batman/Catwoman ("un baiser sous le gui...") reconnaissent leur identité mutuelle et sont comme las de leurs combats. On sent tout ce que ces deux êtres broyés, qui se sont reconstruits à travers une identité de substitution, ont dû surmonter, et le vertige qu'ils ressentent par rapport à leur propre psychose. C'est vraiment là que Burton est bien plus original que Nolan.


Le Batman de Nolan est un être riche, intelligent, qui se bat pour le bien commun. Il souffre beaucoup, il a des dilemmes, mais son combat est juste, il est facile de s'y identifier et de vouloir qu'il gagne. Celui de Burton est un être aux fêlures autrement plus profondes. C'est un petit garçon, beaucoup plus dépendant affectivement d'Alfred, son père de substitution, là où le majordome de Nolan est un simple adjuvant avisé et complice.


Et c'est ce qui fait, en dépit de ses scènes d'action ineptes, de Batman : Le Défi probablement le meilleur film de Batman, et pour longtemps.

zardoz6704
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le 19 mars 2016

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zardoz6704

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