C'est l'histoire de deux mecs qui veulent faire une adaptation...

N'étant pas un amateur de comics, je dois dire que "A killing Joke" d'Alan Moore et Brian Bolland est de loin mon favori parmi ceux que j'ai lus, mon favori même tout style de BD confondu. Mise en scène, dialogues, personnage, tout y est percutant et la BD s'offre en prime le luxe de conter les origines de deux personnages de DC, à savoir Oracle et le Joker. J'étais donc plus qu'impatient de voir cet anime, hypé à mort sur les réseaux spécialisé.


Et comme je ne suis pas très content, je vais briser le suspense directement : c'était mauvais. Plus que mauvais... c'était complètement inutile, en fait.


L'animation tout d'abord : pu*** que c'est laid. Pu*** que c'est laborieux. Je me doute bien qu'on ne pouvait pas reproduire le style de Bolland, hyper détaillé et réaliste en animation mais pour dire, la série de 92 est largement plus esthétique et soignée que ce "Killing joke" qui aplatit tout relief, propose des chara design à peine digne d'une série télé dessinée au rabais par des studios chinois et un mélange 2D/3D dans les décors franchement hideux (si vous avez trouvé "la planète au trésor" moche avec ses incrustations, sortez le collyre, vous allez souffrir. Et vous serez sans doute plus indulgent avec le disney susnommé). Les personnages - même le joker - ont l'expressivité de masques en plâtre, ce qui annihile à peu près toute intensité dramatique et si vous avez lu le comics, vous mesurez en quoi c'est un réel problème (les expressions du Joker y sont proprement terrifiantes. Pas dans le film).


Côté scénario, ensuite : le film ne débute pas comme le comics par une visite de Batman à Arkham, venu parler au Joker de la spirale meurtrière dans laquelle ils s'enfoncent progressivement mais par Batgirl. Là où l’œuvre d'Alan Moore se concentrait sur le Joker et sa relation avec la chauve-souris, le film semble vouloir davantage s'attarder sur Barbara Gordon et ses implications de justicière, dans une -longue - introduction de trente minutes ( le film en dure 70). En gros, la moitié de cette blague tueuse ne parle absolument pas du joker mais de Batgirl et de son goût plutôt dangereux pour les hommes infréquentables, ses doutes en tant que justicière, afin d'instiller une forte empathie pour elle. En soi, le segment n'est pas mauvais ni inintéressant, il questionne - assez maladroitement - le problème du sexisme dont Batgirl fait inévitablement l'objet, de la part des criminels mais aussi de son patron, patriarche ultra-protecteur et vaguement incestueux. Sans être incroyable ou inoubliable, il est agréable de voir un anime de Batman s'attarder un peu sur ce personnage, que l'animation DC avait un peu délaissé depuis les "Gotham Girls" et la série de 92. Le problème, c'est que cette partie n'a aucun liant avec le cœur du film, à savoir ce que raconte la BD de Moore. On croirait que les deux segments ont été réalisés, écrits et mis en scène par deux personnes différentes, travaillant à plusieurs kilomètres de distance et ne s'étant jamais rencontrées. Le point de vue de Batgirl - voix off pendant la première demie-heure- est complètement abandonné par la suite et elle redevient un personnage accessoire dans la seconde partie. C'est mal foutu, bancal et surtout le ton de ce segment n'a rien à voir avec le reste. Pourquoi n'avoir pas demandé à Moore de l'écrire ? (Et si c'est le cas, Alan, t'as vraiment, VRAIMENT changé de style depuis...). Bref, l'intention y est mais ça ne marche pas.


Concernant le second segment... hé bien on a la BD quasiment case par case. Je dis bien "quasiment" car la mise en scène fluide et presque théâtrale de Moore est totalement balayée (je pense notamment aux très belles astuces graphiques pour passer des flashback du Joker au présent, questionnant la véracité de ses souvenirs) pour quelque chose de plat. Les personnages étant inexpressifs, on n'entre pas dans l'histoire. Le film se permet quelques ajouts inutiles (rien de fou, des micro-scènes) qu'on regardera passer avec désintérêt et oublie même de placer certains symboles (le rai de lumière dans la pluie entre Batman et le Joker, qui est rien moins que la conclusion de ce qui les attend, est totalement zappé.). Je me suis demandé si ceux qui ont réalisé le film ont lu "A killing joke", en fait. Ont compris ce que le comics raconte. Soit, on peut comprendre une œuvre de bien des manières et je ne peux pas prétendre à avoir compris celle-ci mieux que les autres... mais mieux que les réalisateurs du film, sans aucun doute. Il y a même une assez risible volonté de vouloir rendre le tout "plus adulte" en plaçant des allusions au sexe : en gros il est dit, sous-entendu ou montré que Batman, Batgirl et le Joker ont parfois du sexe. On est rudement content pour eux mais on s'en fout un peu, dans le contexte. Je comprends bien que ceci est fait pour donner une impression plus réaliste et humaine aux trois "monstres" mais ces scènes ou lignes de dialogues sont aussi naturelles qu'un quadra coincé voulant avoir l'air détendu sur le sujet. Et pour preuve : la seule allusion sexuelle réellement importante pour l'histoire, au sujet du viol de Barbara, est précipitamment éclipsée, preuve que non, les réalisateurs ne sont pas à l'aise avec le sujet. Et je le redis : je me fous de savoir ce que les personnages de DC fricotent dans leurs draps, surtout quand c'est aussi sulfureux qu'une partie de jambes en l'air dans les toilettes d'une boum de lycéen. Tout ça pour se donner des airs matures, c'est dire le niveau et c'est dire combien les réalisateurs n'ont décidément rien pigé à l’œuvre de Moore.


Les dialogues ont été à peu près repris tel quel et légèrement actualisés, notamment pour la tirade finale du joker. Ils sont le seul intérêt du film, d'ailleurs, d'autant que la VF est de très bonne facture et que le doubleur du Joker a soigné sa prestation, qui manque peut-être un peu de folie mais pas de cette froide conviction dont le personnage fait preuve dans sa démarche. En VO on retrouve Mark Hamill pour le rôle mais je le trouve étrangement peu impliqué sur ce coup-là... ou bien il avait compris que le résultat serait mauvais de toute façon. Côté musique, il aura fallu attendre que je vienne à en parler dans cette critique pour me rappeler qu'il y en avait. Rien à ajouter.


Tout est oubliable dans "A killing Joke", à part éventuellement le segment sur Batgirl, qui n'a de fait rien à voir avec le reste et aurait été bien plus pertinent comme œuvre à part entière pour parler du personnage d'Oracle, en résumant les évènements du comics de Moore par de simples flashback. Car il est réduit à sa plus simple, plus plate et plus chiante expression ici. Et si les défauts que j'ai cité n'étaient pas présent, le film n'en serait pas moins inutile : ce serait le comics case par case, littéralement. Et le comics de Moore n'en a pas besoin. Son dessin est bien assez dynamique pour pouvoir se passer d'animation, il m'aura fallu une heure dix de visionnage pénible pour en arriver à cette conclusion. On ne peut pas faire mieux que le comics. Et faire aussi bien n'a aucun intérêt. Voilà pourquoi il aurait été plus judicieux d'écrire un film sur Oracle en utilisant "A killing Joke" comme matériau de base plutôt que de vouloir plaquer de force une œuvre majeure dans un média qui ne lui apporte strictement rien. Un paquet de projets d'adaptation devraient y réfléchir. En attendant, je ne vous recommande pas le visionnage - sauf éventuellement de la première demie-heure - mais bien d'aller lire le comics d'origine si ce n'est pas déjà fait.

SubaruKondo
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le 7 août 2016

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