Film réputé pour son animation, qualifiée d’exceptionnelle par le peu de cinéphiles qui ont eu la chance de le visionner, Belladonna est ressorti en salles mercredi dernier dans une copie restaurée en 4K. Cette adaptation libre du livre La Sorcière, écrit par Jules Michelet en 1862, produit un syncrétisme assez inhabituel, mélange de romantisme français et d’une culture nippone post années 60, à l’heure des révoltes étudiantes gauchistes qui secouèrent la société traditionaliste japonaise. Belladonna met en scène un Moyen-Âge sanglant, phantasmagorique, peuplé par tout le folklore sexuel japonais, bardé de symboles phalliques et clitoridiens représentés par des végétaux, des animaux, des mollusques. Loin d’un érotisme gentillet, le film s’enfonce dans la pornographie graphique, parfois avec une violence assez secouante, parfois avec des scènes dont l’excitation sera discutable, les différences culturelles étant ce qu’elles sont entre occidentaux et habitants du pays du soleil levant.
Belladonna est le dernier film d’une trilogie décidée par Osamu Tezuka, soucieux de sauver son studio, Mushi Production. Au bord de la faillite, une idée toute simple fut trouvée pour donner de l’eau au moulin : trois films, tous érotiques, qui n’ont pas connu le même succès auprès de leur public, puisque si le premier (Les Mille et une nuits) a très bien marché, les deux autres (Cléopâtre et Belladonna des tristesses, comme on le nommait auparavant) n’ont pas rencontré leur public. Néanmoins, ce dernier est probablement à l’heure actuelle le plus connu des trois. Nommé à l’Ours d’Or de Berlin, disparu, il a constitué pour certains artistes une influence non négligeable, et la trilogie toute entière constitue en quelque sorte les germes de ce qui sera plus tard l’animation japonaise érotique et pornographique. Toute une époque se retrouve ainsi condensée dans une représentation assez kitsch d’un Moyen-Âge français dans lequel Jean et Jeanne, un couple que tout prédestine au bonheur illimité se retrouve pris dans la tempête à cause de la beauté ravageuse de l’élément féminin. Jeanne, superbe, est remarquée par son seigneur, qui use d’un chantage irréalisable auprès de Jean pour pouvoir obtenir ce qu’il souhaite, l’exercice du droit de cuissage ; pour rappel, ce procédé fait très semblablement partie des fantasmes d’effroi à propos du Moyen-Âge, sachant que rien n’indique qu’il ait effectivement existé. Mais peu importe : l’histoire, la violence est là, à travers un viol à la fois cru et allégorique, dont le départ conduira Jeanne à pactiser avec le diable après de nombreuses hésitations pour acquérir plus de force et dominer son monde.
Belladonna ne parle que de sexe, avec un point de vue, une intention très précise, mais extrêmement naïve, dont le caractère gentillet sera révélé avec des images finales à laisser les bras ballants. C’est le reflet d’une époque qui croit en la libération sexuelle, surtout en la libération de la femme par le biais du sexe. Sur fond de guitares psychédéliques, assez semblables à celles que l’on peut entendre dans La Planète Sauvage notamment, Belladonna montre une Jeanne dont l’ami imaginaire ressemble à un pénis, ridicule de petitesse, dont la grandeur croîtra au fur et à mesure des concessions faites, jusqu’à être omnipotent. De là en sera délivré un orgasme foudroyant, à la représentation visuelle placardée par des images pop art, dans un délire hallucinatoire, mélange d’électrocution sexuelle, de drogue jouissive et du corps vivant. C’est un foutoir démentiel, qui ne franchit pas la ligne jaune de l’écœurement. Il n’empêche que, si le film est pétri de bonnes intentions, elles n’en demeurent pas moins ambivalentes, voire carrément empêtrées dans une espèce de paradoxe qui fait effet de grosse tambouille: avant-garde par le sexe et culture de masse, raffinement du dessin et vulgarité des dialogues aux accents de mauvais porno, cassage des chaînes de la femme et culture machiste, avec la démonstration d’un nombre record d’actes sexuels non consentis. Aucun homme n’est épargné, Jean est un benêt, le seigneur un lâche, le diable une forme de virilité caricaturale, dont l’intérêt n’est que de mettre son « pilon dans ta matrice ».
Ces travers sont d’autant plus visibles et analysables que Belladona vaut pour sa qualité de film d’animation précurseur, mais qui n’a absolument rien d’intemporel : on ne peut trouver mieux en terme d’objet artistique plus ancré que dans sa culture d’alors, dont on est a priori pas mal revenu aujourd’hui.