C’est avec « La Traversée du Temps » et « Summer Wars » que Mamoru Hosoda a pris son envol, parallèlement au studio Chizu, qui semble avoir laissé les classiques de Ghibli derrière lui. Et lorsque l’on sait que sa collaboration avec Jin Kim, talentueux animateur et concepteur de personnages chez Disney, est imminente, nous sommes en droit d’espérer un joli parti-pris graphique de l’animation japonaise traditionnelle et ce nouveau monde, au centre des débats de ce dernier long-métrage. Si le réalisateur n’a jamais caché son inspiration pour le conte « La Belle et la Bête », ses œuvres précédentes en témoignent, elle ne pouvait pas être plus manifeste qu’ici, au détour de la matrice. C’est également un hommage à la version de 1991, qui emporte autant qu’elle éblouit par sa profondeur. C’est un drame fort, avant que ce ne soit une romance impossible. C’est une impasse, que l’héroïne affronte, par une forme de solitude, justifiée ici par le deuil qu’elle traverse.


Suzu est une lycéenne qui vit dans un Japon rural, mais pas pour autant déconnecté de la réalité que le monde virtuel. Portables et application offrent à tous le confort et la possibilité de changer son destin. C’est dans ce sens-là qu’Hosoda manœuvre, avec un optimisme rare, car la technologie des réseaux sociaux n’a pas toujours qu’une face maléfique. Fidèle aux précédentes héroïnes du cinéaste, nous avons là une Suzu qui cherche sa voix, qui cherche une plateforme sur laquelle rebondir et d’enfin exister, dans ce monde qui paraît lui avoir tout enlevé. « U », c’est « You ». Une ironie flagrante, qui promet un avatar sacralisé de sa propre personne, alors que l’on souhaite mettre en avant la liberté identitaire. La réalité virtuelle clame sa générosité et la jeune fille, timide et torturée, n’a pourtant rien à envier aux princesses qui la précèdent. Mais il n’est pas question d’enrober Suzu par la « Belle » qui sommeille en elle, car il n’y a pas qu’une seule définition de Belle dans toute cette panoplie de personnages féminins.


Suzu incarne toutefois celle qui a le potentiel de séduire, grâce à une sincérité chantée et animée. C’est alors dommage de limiter des personnages secondaires, qui auraient pu apporter plus de nuances et d’émotions, au service de la pop-star éphémère. Il faut donc le souligner, c’est aussi ça la dureté de « U », qui rappelle que la perversion et les fake news ne sont jamais bien loin. Si ce cadre peut en laisser plus d’un sur la touche, ce seront les adolescents qui auront leur compte et leur lot d’espoir, qui se transmet via la vulnérabilité de l’héroïne. Elle la transforme en un innocent amour, qui touchera cette Bête, qui la guette et dont ils partagent une écoute mutuelle. Sa férocité cache bien des douleurs, qu’il convient de révéler. Et c’est sur cet axe rudimentaire, mais poignant, que le dernier acte se confie et joue sur la carte de l’acceptation. Douleur et gloire se confondent, mais finalement ce qui importe, c’est simplement trouver la force de s’exprimer.


En inspirant des craintes sur la déviance relationnelle de sa fille, Hosoda concocte « Belle » comme un souffle de courage, qui pousse les plus jeunes à se défaire de l’oppression parentale ou encore de resserrer des liens perdus. La démonstration y est ludique, mais manque sans doute d’être incisive dans les conflits que Suzu rencontrent au quotidien. L’image de la perfection est un fardeau social, qui trouve de l’écho dans les relations sentimentales, mais la surcouche féerique freine quelques fois l’envol de chants salvateurs. Si le miroir virtuel est évident dans son dénouement, il reste encore de la place pour faire exister une communauté connectée et la complémentarité entre la Belle et la Bête.

Cinememories
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le 6 déc. 2021

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