Bien qu’auréolé de deux prix à Gérardmer (le prix spécial du Jury et le prix de la critique), "Berberian Sound Studio" n’est pas réellement un film d’horreur. Il s’agit d’un objet souvent déconcertant, parfois à la limite de l’expérimental et de l’abstraction, qui se vit avant tout comme une expérience sensorielle. Le travail sur le son est remarquable – le contraire, avec un tel sujet aurait été un comble. Cris, chuchotements, murmures, bruissements, morceaux instrumentaux mais aussi silences se mêlent pour créer une partition sonore tantôt envoutante, tantôt inquiétante. Peter Strickland s’est amusé comme un fou à assembler ces sons, à jouer des contrastes, des accélérations ou ralentissements de rythmes.

"Berberian Sound Studio" est un hommage ludique à ces professionnels dits “de l’ombre” – doubleurs, bruiteurs, mixeurs – dont la contribution dans la conception d’un film est pourtant d’une importance majeure, notamment dans le genre horrifique. Il montre comment, avec une simple botte de radis, un chou-fleur ou une paille dans un pichet d’eau, il est possible d’assurer le bruitage d’un horrible crime de cinéma.

Hormis le générique, on ne voit aucune image du "Vortex équestre", film au service duquel Guilderoy met ses talents. On ne connaît que des bribes d’intrigue, qui font immédiatement penser à "Suspiria" (une Académie, une histoire de sorcière, des sous-terrains…). Impossible de ne pas voir, dans le projet même de ce film, l’envie de Peter Strickland de rendre hommage au cinéma horrifique transalpin particulièrement productif pendant cette décennie 1970 avec des figures de proue comme Dario Argento, Mario Bava ou Lucio Fulci. Il ne manque pas de faire un clin d’oeil aux gialli avec ces mains gantées de cuir qui actionnent les bobines mais, contrairement à ce que l’on peut lire ci et là, "Le Vortex équestre" n’est pas un giallo (pas plus que "Suspiria").

Cette approche quasi-fétichiste, constituée d’une accumulation de motifs et de références qui n’échapperont pas à la sagacité des fans d’effroi à l’italienne, ne se résume pas à un exercice de style. Elle sert un scénario d’une grande simplicité : un Anglais coincé – Gilderoy a tout du vieux garçon – est déconcerté par sa découverte des moeurs latines. Le choc des cultures est d’abord cocasse, mais l’atmosphère se fait de plus en plus plombante. Entre un producteur sadique, un réalisateur mégalo et une secrétaire irascible, l’ingénieur du son a bien du mal à se détendre et se renferme sur lui même et sur son travail. Le fait qu’aucune scène du film ne soit tournée en extérieur renforce cette impression claustrophobique. Strickland multiplie les ellipses, fait perdre au spectateur ses repères par un habile jeu de montage, changeant de décor sans prévenir, et le perturbe avec ses expérimentations sonores. Le public est alors immergé dans les visions hallucinatoires de cet ingénieur du son, qui semble peu à peu perdre pied avec la réalité. Gilderoy est un étranger perdu dans un environnement qu’il ne connaît pas et dont il ne comprend pas la langue. Pris au piège de son mal du pays, qui pourrait le rendre fou.
Giallover
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le 4 mars 2013

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