A la fois objet théorique, mais aussi follement improbable et divertissant, Berberian Sound Studio fait partie de ces petites perles qui sortent discrètement, sans faire de bruit, mais qui finissent logiquement par avoir leur dossier dans Positif.

Berberian, c'est le giallo des coulisses, le film d'horreur sans mort ni meurtre ni sang. A l'opposé de tout graphisme, Berberian sculpte suggestivement à contre-lumière sa galerie de personnages, dont les frustrations de la vie quotidienne se cristallise autour d'un film d'horreur (film dans le film) dont on verra jamais rien, sauf un générique (rouge sang et rappelant le Suspiria d'Argento, notamment grâce à une bande son ramenant directement au film), et une narration factuelle du contenu afin d'aider à effectuer la post synchronisation du film.

Mais le vrai film d'horreur, ne serait-ce pas plutôt celui de Gilderoy, protagoniste perdu dans un endroit, une culture, une langue qu'il ne comprend pas ? Ce qu'il y a d'amusant et hautement divertissant, c'est précisément cela : en déplaçant le regard de l'écran aux coulisses, Strickland y déplace aussi les actions : l'horreur, c'est ne plus réussir à faire chauffer de l'huile sur une poêle. Pourquoi ? Parce que ce bruitage est censé soutenir une scène où une jeune femme, supposément une sorcière, se fait enfoncer un tisonnier rougeoyant dans le vagin, façon Fulci ou Bava... L'insoutenable, dans Berberian, ce n'est donc pas cette violence, ce sont ces choux-fleurs tour à tour poignardés ou noyés et ces pastèques éclatées à coup de masses, ces femmes à qui on vrille les tympans pour les faire crier juste, ces notes de frais perdues dans l'administration du boui-boui qu'est le fameux Berberian Sound Studio.

Pourtant, porté par une durée courte (1h30 au compteur), un rythme lancinant mais avec uniquement de rares "temps morts" (appellation somme toute relative au sein d'un film où il ne se passe tout de même pas grand chose), mais surtout une mise en scène léchée et travaillée, le film prend et perd rarement de sa superbe. Et quand, dans un espèce de délire final complet, le film bascule dans le film dans le film dans le film pour ses 25 dernières minutes, il y a (pour peu que l'on adhère) de quoi jubiler comme un gosse. Est-ce notre protagoniste qui perd la boule ? Se fantasme héros d'un film italien ? Rêve tout simplement ? Il faut bien avouer : peu importe. Berberian Sound Studio, c'est avant tout un hommage à la fabrication d'un film, aux hommes de l'ombre et tout ce qui peut graviter autour, du petit artisan honnête au réalisateur imbu de lui-même. A une nuance près : ici, le projectionniste est ganté de cuir, comme un assassin. Mais alors, qui est la victime ? Nous, les personnages, ou le film lui-même ?
Remy_Pignatiell
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le 20 oct. 2013

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