Il faut voir comment une phrase lâchée par un cinéaste populaire a suffi à mettre le feu aux poudres, nos chers distributeurs misant sur cette parole d'évangile et l'argument exotique (quoi, un film de genre venu d'Israël, c'est possible?!) pour déplacer les foules.

Au-delà de son étiquette de film de genre ployant sous les références voyantes à Tarantino et consorts, Big bad wolves retient l'attention pour ses modèles plus sous-terrains. Ainsi, afin de séquestrer et de torturer le prétendu coupable dans la tranquillité d'esprit la plus complète, le père de la victime achète une maison perdue au fin fond d’un équivalent du wilderness américain, pariant sur le fait que les palestiniens (ces substituts des indiens) vivant à proximité, personne ne viendra s’aventurer dans les parages. Les cinéastes réactivent alors avec une ironie subtile et délectable le spectre puritain du western US. C’est d’ailleurs dans les apparitions fugaces d’un arabe (de loin le personnage le plus sympathique du film) que le film trouve une respiration bienvenue, détournant ainsi l’imagerie primitive qu'en ont les israéliens, avec plus (l'incongruité de ce personnage qui voyage sur son cheval) ou moins (la scène affligeante de bêtise où le flic met en doute le fait qu’il puisse avoir un portable) de talent. Par petites touches, Big bad wolves dresse un état des lieux du régime autoritaire en vigueur en Israël. Dans son viseur: une police aux méthodes expéditives (quand le flic est mis à pied, son supérieur lui fait explicitement savoir qu’étant redevenu civil, il est libre d’appliquer sa propre justice) et l'armée (avec cette idée inattendue, de loin la meilleure du film, de l'engagement du grand-père dans la boucherie en cours, ravivant le spectre des joyeuses méthodes de torture d'antan).

Malheureusement, au-delà de ces brèves mises en perspective avec la société israélienne, le reste n'est qu'un ramassis d'esbroufe aussi bien narrative que visuelle, à base de scénario paresseux et vaguement fétichiste, de rebondissements la plupart du temps prévisibles à des kilomètres (le grand-père qui mange du gâteau, et, surtout, la fin, qui se voudrait un modèle de noirceur audacieuse), d'acteurs falots, et de facilité en tout genre. Hormis une introduction ultra-stylisée plutôt séduisante (renvoyant explicitement à l'imagerie du conte), le film irrite par ses tics de mise en scène : c’est bien simple, avant la partie en huis-clos où les cinéastes, par contrainte spatiale, ont recours à une grammaire plus apaisée, tout n’est qu’épate visuelle, à grands coups de « jolis » mouvements de caméra et de cadrages artificiels. Il n’y a rien de plus énervant qu’un cinéaste qui se regarde filmer.

Mais le principal échec des auteurs reste leur volonté de désamorcer l’horreur par l’humour noir. L’argument comique tenant beaucoup plus souvent de la facilité (punchline ou running gag bas-du-front) que de la férocité, Big bad wolves n’est quasiment jamais drôle. Chaque rupture de ton se sent, et, la plupart du temps, tombe à plat (la mère castratrice, le dialogue entre le flic et l’arabe). C’est même parfois très lourd, avec notamment le motif de la sonnerie (du téléphone, puis de la porte d’entrée, puis du minuteur du four, puis... ah non ouf, c'est fini) qui intervient à chaque fois où le bourreau veut enclencher la vitesse supérieure.
Et la désagréable impression qui reste en bouche à la fin de la projection, c'est celle d'un style maladroit où la crudité d'une violence crasse prend le pas sur toute tentative de décalage pour la contrecarrer. On sera néanmoins gré à Aharon Keshales et Navot Papushado de souligner au final l'inutilité du processus de vengeance, puisqu'adopter les armes du Mal, c'est jouer son jeu. Compensation bien maigre (en regard du déplaisir qu'offre la projection), mais nécessaire, le film évitant ainsi l'écueil de la gratuité abjecte qui est le lot du torture porn.
CableHogue
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le 4 juil. 2014

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CableHogue

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