Certaines critiques n'ont pas aimé Big Eyes en arguant que ce n'est pas un Burton. Il serait peut-être bon de rappeler que la filmographie de Tim Burton ne se résume pas à des univers comico-burlesques et gothiques à la Beetlejuice, Pee-Wee ou Alice, ni même à l'omniprésence de la mort, tournée souvent en dérision, ni même à la présence de Johnny Depp. Depuis Big Fish certes, Burton lui-même s'est enfermé dans son propre style, et a répété les mêmes films, perdant à chaque fois un peu plus en qualité (Sweeney Todd, Dark Shadows, Alice) malgré quelques bons films comme Les Noces Funèbres.
Big Eyes est le retour de Tim aux affaires, sa remontée à la surface, le rafraîchissement de sa filmo, et a contrario de certains avis, il s'inscrit parfaitement dans la logique de sa carrière.
Exit Johnny Depp, exit Bonham-Carter, Burton s'est souvenu qu'il y avait d'autres acteurs à Hollywood et s'est tourné vers Amy Adams, fraîcheur incarnée, et Christoph Waltz, dont chaque nouveau film est une preuve supplémentaire de son immense talent, pour incarner le couple Keane. L'histoire d'une femme artiste qui se fait voler la paternité de ses œuvres, portraits d'enfants aux yeux disproportionnés, par son mari, escroc et homme d'affaire (qui a dit pléonasme ? Vous êtes mauvaise langue.).
Et on ose dire que ce n'est pas du Burton ? Dés le premier plan, pourtant, l'identité du réalisateur ne fait plus aucun doute. Maggie Keane quitte son premier mari depuis sa banlieue américaine faites de rues trop droites et de maisons alignées, trop blanches et aux pelouses trop vertes... Bref l'archétype des quartiers résidentiels américains (déjà aperçus dans Edward aux mains d'argent, Pee-Wee, Beetlejuice et Frankenweenie), cauchemars d'un Burton amateur d'escalier de travers et de maisons sombres et biscornues.
L'identité visuelle a changé, certes, car l'histoire l'exige, mais les préoccupations de Burton restent les mêmes, et il est certain que cette histoire ne l'a pas inspiré pour rien.
L'histoire des Keane prend place aux années 50-60, période charnière qui a vu débuter l'industrialisation de l'art, industrialisation fustigée par Burton dans une grande partie de ces films. Maggie Keane l'artiste contre son mari le businessman, c'est le réalisateur face au producteur, les idées face à l'argent. C'est l'art maltraité par la réalité pragmatique et non-artistique. Bref, c'est toute la filmo de Burton, à l'exception de la Planète des Singes (aussi mauvais que hors-sujet dans la collection de Burton).
Big Eyes est donc un pari réussi et un retour gagnant. Adams et Waltz (parfait, comme toujours, en salopard) y sont pour beaucoup, mais Burton a fait de gros efforts de mise en scène et de nombreux plans se rapprochent esthétiquement de véritables tableaux très marqués années 60 et kitsch. Preuves que Burton peut maîtriser d'autres univers.
On regrettera peut-être une fin qui manque d'un brin de folie, mais à part ça, on ne peut qu'apprécier quand un réalisateur met fin à dix ans (ou presque) de panne artistique.