Le passage au 21ème siècle n'a pas été tendre avec Tim Burton, qui avait avant ça réussi à créer des films originaux avec un style visuel unique et inventif. Véritable faiseur de génie, il a même réussi à faire de lui un auteur graphique liant ses films non pas par des thématiques précises mais par des codes visuels, la récurrence de certains acteurs et la musique de ses films, il est un auteur visuel plus que cérébral. Et c'est malheureusement ce qui handicap aujourd'hui son cinéma, cette absence de fond dans une époque où les prouesses visuelles ne sont plus suffisante. Car ce qui à véritablement fait le succès de Burton c'est l'époque, dans les années 80 le kitsch et le fantasque était de rigueur livrant des films cohérents et inventifs tandis que lui s'imposait en maître poursuivant même durant les années 90, avec un cinéma en pleine mutation cherchant plus les films d'actions burnés et le style réaliste alors le style de Burton venait comme un vent de fraîcheur, livrant des films originaux emprunt d'un charme kitsch et d'une mélancolie d'une époque révolue et d'une candeur parfois enfantine qui atteint son paroxysme dans le formidable Ed Wood de Burton. Sauf que voilà, les années 2000 sont arrivés et Burton s'est quelque peu perdu. Non il n'a pas perdu ses frasques visuelles bien au contraire mais il a perdu le supplément d'âme qu'il injectait dans celle-ci, ne restant plus que des films kitsch, mais dans le sens ridicule du terme, enfantin et vide. Le problème c'est que Burton s'est mis à appliquer la même recette encore et encore sans véritable génie ne devenant plus qu'un cliché de lui-même. Pourtant tout n'est pas à jeter dans cette période de la carrière de Burton, Big Fish est un bon film qui détone de manière bienvenue avec les autres œuvres du cinéaste et Frankenweenie retrouvait un peu le charme de ses anciens films. Mais qu'en est-il de cette nouvelle réalisation de Burton ? Inspiré d'un fait réel, Burton s’apprête-t-il à signer le Ed Wood du 21ème siècle ?

Et bien oui, Burton signe le Ed Wood de son temps et il est à l'image de la période actuelle, inférieur en tout point à son aîné. Pourtant les deux films ont des thématiques communes comme un propos similaire, celui d'une belle déclaration d'amour à la créativité aussi imparfaite soit-elle. Car ici l'important c'est de laisser parler la créativité et l'originalité en donnant de soi-même, de son âme dans son oeuvre. Chose que n'a plus fait Burton depuis bien longtemps et ici il semble faire un mea culpa. Une critique dans le film dit que les tableaux des enfants aux grands yeux ne sont que des copies d'elles-mêmes à tel point qu'elles en ont perdu leurs âmes passant de l'art à la poubelle. Et d'une certaine manière c'est ce que l'on peut reprocher aux films de Burton, de n'être que des copies informes, impersonnelles et vides des vrais œuvres d'art de Burton, ici il semble prendre conscience de cela et semble s'en excuser même si il ne se condamne pas totalement. Car ce qui est en cause ici c'est le producteur, celui qui exploite le travail d'un autre pour en faire profit, qui dénature et malmène la créativité au point même d'en faire un produit commercial ( les différents accessoires fait à partir des "Big Eyes" ). Burton serait donc entrain de faire une critique contre Disney qui à étouffé et dénaturé son travail ? J'en doute mais c'est clairement ce qu'il pointe du doigt. Car aussi cupide que peut être le producteur, il est aussi un fin manipulateur et un grand vendeur, malgré ses nombreuses tares notamment le mensonge, il est un illusionniste hors pair, un artiste à sa façon. Ici d'ailleurs la relation entre Margaret et Walter est vraiment fascinante, jouant habilement le jeu de miroirs avec la situation actuel de Burton. Le film en devient donc par ça très personnel surtout que sa critique s'étend assez loin faisant du film une oeuvre très dense. Parce que l'histoire de Margaret n'est ici qu'un prétexte, d'ailleurs c'est le gros défaut du film car au final les personnages ne sont pas développés outre mesure, les parts les plus intéressantes de leurs psychologies étant passez sous silence. Le film traite sa trame principale de façon succincte et léger faisant souvent les mauvais choix, la voix-off est inutile n'apportant rien au film rendant juste la narration classique, les ellipses s’enchaînent très vite évitant tout approfondissement des relations pour aller à l'essentiel faisant que l'ensemble manque cruellement d'émotions. Sans parler des personnages secondaires totalement oubliés et sous exploités, aux interventions anecdotiques et la relation mère-fille quasiment passé sous silence. On ne s'impliquera donc jamais vraiment dans cette histoire pourtant passionnante, car malheureusement même le personnage de Margaret est maladroitement traité, son parcours psychologique étant d'une simplicité déconcertante, dénué d'enjeux forts. Au final on s'intéressera d'avantage à ce que cette histoire a à nous dire et non pas à ce qu'elle raconte. Ici il est question d'émancipation de la femme et de sa nouvelle place dans la société, Burton signant un joli pamphlet féministe, et de la commercialisation excessive de l'art dans une société en pleine évolution qui sacrifie l'art pour en faire un produit de transaction. Il sera d'ailleurs question d'héritage, qu'est ce qu'on lègue aux nouvelles générations, et la réponse du film sera la domination, le mensonge et la déshumanisation. On retrouve l'aspect déshumanisé et cauchemardesque des banlieues, propres au cinéma de Burton, qui cache en leur sein, malgré un aspect coloré, le malheur conjugal. Au final Margaret quitte une tyrannie pour une autre, elle part loin de son mari pour tomber dans les Témoins de Jéhovah, deux univers différents mais pourtant régis par les mêmes codes, la domination par les règles toujours plus strictes, la manipulation et la déshumanisation par le vole de l'identité, avec son mari elle ne peut pas être elle même et avec les témoins de Jéhovah elle succombe à une doctrine de groupe où chacun est similaire à l'autre, retrouvant ainsi le thème des copies sans âmes mais ici à l'échelle humaine. Donc le final même si il exprime une certaine forme de libération et assez symbolique et très pessimiste, Margaret ne sera jamais vraiment libérée, devant même demander l'accord des Témoins de Jéhovah pour le procès contre son mari, comme les femmes sont encore aujourd'hui obligées de ce battre pour leurs droits et être considérées égales à l'homme. Le message du film étant donc ici clairement trouble car même si une certaine forme de libération à lieu, elle ne sera pas complète. En plus de ça Burton pousse une belle réflexion sur la force du regard et de la perception, sur ce qui pousse à dire qu'une oeuvre est belle ou non, sur la vision du monde de tout à chacun avec l'envahissement d'hallucinations dans la psyché de Margaret qui voit son monde pervertit et arrachés à elle, à tel point qu'il en devient une propriété publique. Les yeux sont donc les miroirs de l'âme mais aussi la force de celle-ci, qui nous définit à travers ce que l'on voit, qui nous aide à être fort et à s'émanciper, Margaret détournant le regard sur les mensonges de son mari, fermant les yeux sur ses agissements, l'absence de regard est ici une soumission, une prison. Et c'est lorsqu'elle fait face à la vérité, qu'elle la confronte et qu'elle regarde vraiment son mari qu'elle peut s'émanciper. Le film est donc ainsi métaphoriquement passionnant même si il faut repérer ses différents niveaux de lectures pour l'apprécier pleinement car malheureusement sa trame principale, n'est qu'un prétexte, une allégorie pour des thèmes bien plus vastes qui font encore écho aujourd'hui, voire peut être même plus encore qu'à l'époque.
Sinon le casting est globalement bon même si les acteurs secondaires non pas la place pour s'imposer, notamment Danny Huston qui est assez transparent, comme Jason Schwartzman et Terence Stamp d'ailleurs, qui reste malgré tous égal à eux-même tandis que Kristen Ritter apporte son charme avec élégance s'approchant beaucoup des personnages féminins typiquement burtonien. Néanmoins Christoph Waltz et Amy Adams assure le spectacle, lui cabotine beaucoup est n'est clairement pas dans son meilleur rôle mais il arrive toujours à créer une énergie assez impressionnante tandis que elle offre une prestation habitée et à fleur de peau jouant sur plusieurs palettes d'émotions. Elle s'impose véritablement comme une très grande actrice.
Pour ce qui est de la réalisation, celle-ci est plutôt bonne avec une photographie très colorée et esthétisante, le montage est classique mais efficace notamment dans la gestion des ellipses mais malheureusement la BO de Danny Elfman est très faible et peu inspirée. La mise en scène de Tim Burton se fait plus classique et traditionnelle, celui-ci aseptise grandement son style même si il garde ce qui fait sa patte, son univers étant assez proche de celui des Big Eyes et on voit qu'il a véritablement été marqué par ses peintures. Donc même si il change quelque peu sa forme, sa mise en scène reste quand même très maîtrisé et accompagne le récit à merveille.

En conclusion Big Eyes est un bon film qui même si il peut paraître différent dans l'oeuvre de Burton, il en reste pour autant un de ses films les plus personnels, à l'image d'Ed Wood. Cependant ce n'est clairement pas son plus abouti, le film souffre de nombreux défauts faisant qu'il est souvent bancal voire maladroit dans son approche. Mais le film à le mérite d'être honnête et d'être vaste dans les sujets qu'il aborde, le film étant d'ailleurs plus intéressant dans son sous-texte que dans son histoire principale. C'est donc assurément le film le plus traditionnel de l'oeuvre de Burton mais aussi son meilleur du 21ème siècle qui pose un regard tendre sur la femme et l'art dans ce qu'ils ont de plus purs et de plus authentiques tout en étant une satire habile de la société, devenue très consommatrice, et de sa déshumanisation dans tous les domaines.

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le 18 mars 2015

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