Un merveilleux conteur de sa propre histoire...

[Attention spoilers !]
Big Fish, c'est l'histoire poétique d'un merveilleux conteur de sa propre histoire dénommé Edward Bloom, qui, avant de partir pour d'autres cieux, retrace une dernière fois les péripéties de la vie fantastique qu'il s'est faîte.
Le tableau onirique s'ouvre sur la naissance du fils d'Edward, William, conté par Edward au mariage de ce même William : Edward aurait pêché un gros poisson, avec une alliance en or en guise d'appâts...
Mais voilà, le fils est las d'entendre le père contant toujours les mêmes histoires. S'ensuit une rupture de près de trois ans, jusqu'à ce que Will prenne connaissance de l'état de santé déplorable de son père, et décide de venir à son chevet.
Se succèdent alors des tableaux en alternance où les propos d'Edward nous projettent dans les étapes importantes de son existence, puis où nous revenons au temps présent.
[D'abord l'enfance : de sombres marécages et une sorcière redoutée... Edward a déjà du tempérament, c'est lui qui part la défier, et finit même par créer un lien. De son œil de verre, il apprend comment il va mourir. Cette précieuse information saura lui servir, quand la mort semblera le guetter...]
Edward, alité, malade. Will veut savoir qui est ce père, masqué par le roman qu'il semble sans cesse faire de sa propre vie, et ce avant qu'il ne soit trop tard : "J'aimerais connaître la vraie version des choses".
[Edward, adolescent, grandit d'un coup jusqu'à son corps d'adulte ! Que se dit notre merveilleux conteur ? Si mon corps grandit autant, c'est que je suis fait pour vivre de grandes choses... Et effectivement, il devient le phénomène d'Ashton, tantôt meilleur joueur de football américain, tantôt sauveteur de chiens en situation de danger face à incendie !
C'est alors qu'un géant arrive, qui sème le trouble et plonge Ashton dans le désarroi... Un volontaire pour demander au géant de bien vouloir être grand ailleurs ? Edward, bien sûr ! Comme avec la sorcière, il crée le lien avec Karl, le géant qui devient même son nouveau compagnon de route. Oui, c'est décidé, il faut partir se dit Edward, qui voit bien ce qui le rattache à son nouvel ami : la ville est si petite, pour une grande ambition comme pour une grande taille...
Nos deux compagnons entament leur aventure. Très vite, deux routes se présentent, parmi lesquelles un sentier hanté. Edward, l'aventurier, s'en charge. Il retrouvera son ami lorsque les deux routes se rejoignent à nouveau. Empruntant ce chemin fantastique, Edward se retrouve dans la ville rêvée nommée Spectre. Tous les habitants l'accueillent avec bienveillance, même si "on ne l'attendait pas si tôt"... Mais pour Edward, il ne peut être question de rester dans cette ville au bonheur offert. Il n'est tout simplement pas prêt à finir quoi que ce soit. En partant, il rencontre une jeune fille de 10 ans sa benjamine, qui tombe éperdument amoureuse...]
Retour au temps présent. Edward raconte désormais son histoire à sa belle-fille.
[Nous sommes alors projetés dans un univers de cirque. Karl y rencontre son destin, c'est-à-dire sa vocation. Edward aussi y rencontre son destin, sous la forme d'une rencontre : celle de la femme qu'il aime et qu'il épousera. Mais cette femme entrevue est déjà loin. Comment la retrouver ? Le directeur du cirque la connaît, et passe un contrat avec Edward : un mois travaillé au cirque = un indice. Jonquille, étudiante, musique... 3 ans plus tard, Edward fait sa demande à Sandra. Bon, la belle est déjà fiancée. Mais de la volonté et un petit coup de pouce du destin, et l'amour peut être scellé !
A peine marié, à peine appelé sous les drapeaux. C'est la guerre. Edward se sort de la mission dangereuse qu'il a accepté grâce à l'aide de siamoises, qui n'ont besoin que d'une paire de chaussures mais bien de deux chapeaux...]
La question qui tourmente Will est, bien sûr, de nouveau posée au père : "Qui es-tu ?" N'es-tu qu'une charmante imposture ? Edward s'irrite : "J'ai toujours été moi-même", mais, fils, sais-tu le voir ?
[Edward devient voyageur de commerce. Un jour, il doit se faire complice d'un copain ex-poète reconverti dans le hold-up. Enfin vous voyez le genre !]
Will a trouvé dans le grenier une lettre, indiquant une adresse à Spectre. Il s'y rend. Eh oui, Spectre existe vraiment. Mais le fils n'est pas au bout de ses surprises, accrochons-nous. L'adresse est celle de la jeune fille tombée amoureuse d'Edward la première fois qu'il est venu à Spectre. Devenue femme, elle glisse à Will : "Votre père s'est retrouvé deux fois ici... Une fois trop tôt, une fois trop tard..."
[Edward retourne involontairement à Spectre. La ville est tout le contraire de ce qu'elle a été : terre de désolation pour cause de faillite. Edward rachète alors la ville, et convainc tous ses amis de venir y habiter. La ville redevient aussi lumineuse qu'auparavant. Il ne reste plus qu'une petite maison à racheter, celle de la belle femme amoureuse d'Edward. La maison est en ruine, Edward passe beaucoup de temps à la retaper, avec succès. La femme tente d'embrasser Edward, qui résiste. Il n'a qu'un amour, l'amour de sa vie, sa femme à qui il ne peut que rester fidèle. Oui, cette fois c'est "trop tard".]
Cette même femme explique à Will comment elle a aimé son père, et comment elle a souffert de n'être qu'"imaginaire" pour lui. Will commence à résoudre la question qui l'obsédait : son père a bien marqué une limite entre le réel et l'imaginaire, et maintenu un équilibre au profit du premier... Edward est très loin d'être pur inventeur, pur artificier...
Edward a une attaque, il est amené d'urgence à l'hôpital. Son fils se précipite à son chevet. Le médecin de famille le renseigne sur le vrai contexte de sa naissance, qu'il n'a jamais su. Will dit préférer la simplicité et l'authenticité de ce qu'il vient d'apprendre, plutôt que les fantaisies contées par son père.
Ici, le père ouvre une dernière fois les yeux. Scène magnifique où le fils se fait le conteur de l'histoire de son père, pour son père, à un instant crucial où il convient d'y mettre un point, ou des points de suspension, comme on voudra. On comprend que si Will, pour son compte, se satisfait davantage des faits bruts, il accepte par amour-compréhension de son père de la satisfaire ultimement en cousant le réel qu'il devance aux fils d'or de l'imaginaire.
Il s'en va ainsi conter sa fin à son propre père, père dont il aura bien fallu toute l'épaisseur du film pour appréhender toute la subtilité : une dose de réel, une dose de rêve et d'imaginaire ; surtout, ne m'ôtez aucun des deux...
Big fish s'en retourne chez lui, versé dans la rivière. Mais nos imaginations échauffées le voient certainement viser l'océan...

Kevin-1677
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le 26 oct. 2016

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Kevin-1677

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