Marvel a l’habitude d’attirer des réalisateurs singuliers et à l’univers très personnel pour mettre en scène ses blockbusters. Même si leur vision est forcément un peu à l’étroit dans le MCU, chacun réussit à apporter son originalité et son savoir-faire aux super-héros dont il a la charge. Le Thor de Kenneth Branagh était shakespearien à souhait, celui de Taika Waititi délicieusement décalé, les Gardiens de la Galaxie de Gunn foisonnants et turbulents, pour ne parler que des collaborations les plus marquantes. Ça ne fonctionne pas à chaque fois, on pense au rendez-vous manqué avec Edgar Wright sur Ant-man, mais dans l’ensemble et contrairement à Star Wars, les réalisateurs peuvent mettre en œuvre ce pour quoi ils ont été embauchés, à condition de respecter le cahier des charges. Le choix de Ryan Coogler pour Black Panther va au-delà de la simple vision artistique, car il revêt un indéniable caractère politique. Que le réalisateur de Fruitvale Station, plaidoyer contre la violence policière dont est victime la communauté afro-américaine, prenne en main le destin du premier super-héros noir n’a rien d’anodin. Il embrassait déjà la cause afro-américaine dans le très réussi Creed, spin-off mainstream de Rocky, une transition idéale vers Black Panther, blockbuster monumental parmi les plus attendus de ces dernières années. Le talent de Coogler n’étant plus à démontrer, restait à savoir s’il n’allait pas être écrasé par l’ampleur de la tâche et de son poids symbolique. La réponse est dans la question. Black Panther réussit à respecter les canons du film Marvel (ça c’est la partie sans surprise) tout en s’en démarquant par l’évidence de son sujet. Assénant des messages à la portée sociale significative, sans esbrouffe mais avec une clarté éloquente, le réalisateur utilise les codes du blockbuster pour questionner sur des sujets très personnels et/ou éminemment politiques. Il met en particulier l’accent sur la richesse intrinsèque du continent africain et fait par extension le procès du colonialisme (le Wakanda est une utopie qui aurait vu un pays Africain exploiter lui-même ses ressources et prospérer), mais aussi sur les limites d’un protectionnisme exacerbé qui ne prémunit pas forcément de tensions internes et interdit de venir en aides aux opprimés en dehors de son territoire. Il questionne surtout sur un sujet qui lui est cher, la place de l’homme noir dans la société américaine, à travers le personnage de Killmonger, orphelin du Wakanda de sang royal mais n’ayant jamais connu l’Afrique. Ce dernier symbolise la lutte historique à l’intérieur du mouvement afro-américaine contre le racisme entre combat pacifiste et action violente.
En outre, Coogler infuse constamment la culture africaine dans son long-métrage, que ce soit à travers l’art, la musique, la danse, les costumes (splendides). Black Panther est pour son réalisateur autant une tribune inédite pour un discours engagé qu’un vibrant hommage aux origines de la communauté afro-américaine.
Mais il n’oublie pas d’être également un très bon divertissement. Si le récit est plutôt calibré, agréable mais peu surprenant dans son déroulé, il séduit à travers de fabuleux décors (Le Wakanda est riche, inventif et majestueux) et des personnages travaillés et attachants, conférant au passage au film une dimension féministe notoire, tant les personnages féminins sont naturellement clés dans l’intrigue.
De plus, Black Panther parvient à éviter l’écueil habituel des films de super-héros qui consiste à proposer un bad guy indigent. Les motivations de Killmonger, fondamentalement humain, en font un antagoniste hautement plus intéressant qu’un alien en CGI. Le charisme évident de Michael B Jordan joue évidemment beaucoup dans la perception de ce bad guy complexe.
D’aucuns diront que c’est le meilleur méchant Marvel, vous me permettrez de maintenir ma préférence pour Loki, mieux construit et plus ambiguë à mes yeux. Jordan n’est pas seul à briller, le casting est globalement très convaincant, partagé entre vétérans (Forest Whitaker, Angela Basset), jeunes talents habitués au cinéma indépendant et aux séries TV (Chadwick Boseman évidemment, Lupita Nyong’o, mais aussi Daniel Kaluuya de Get Out, Sterling J Brown de This is Us) et une révélation, Letitia Wright, en sœur geek surdouée du héros.
Si on n’échappe pas aux scènes de combats règlementaires qu’on écourterait bien de quelques minutes, Black Panther se positionne comme le blockbuster conscient le plus marquant depuis les deux premiers X-Men, paraboles plus imagées mais tout aussi signifiantes sur l’ostracisation des minorités.
A l’heure ou ces lignes sont publiées, Black Panther vient de signer le deuxième démarrage de tous les temps aux Etats-Unis. Au-delà des indéniables qualités divertissantes du film, le symbole parle du lui-même.

Créée

le 22 févr. 2018

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