Partir en beauté, en laissant la meilleure image de soi à ceux qu'on aime

Partir avant que les choses ne virent au drame. Prendre la maladie et le destin de vitesse. Décider soi-même du moment de sa mort. La préparer. Organiser une cérémonie des adieux. Réunir ceux qui vous sont chers durant un ultime week-end pour profiter ensemble une dernière fois des belles choses que la vie a à offrir. Puis, quitter celle-ci d'un coup en buvant la ciguë (en l'occurrence, une dose de barbituriques à tuer un éléphant). C'est ce que raconte Blackbird.
Une cérémonie des adieux un tant soit peu hollywoodienne... et on peut le lui reprocher. En effet, quel site paradisiaque ! Quelle "baraque" sublime ! Quel casting éblouissant (surtout pour la mère décidée à tirer sa révérence et ses deux filles qui, d'abord l'une puis les deux ensemble, refusent de la laisser appuyer sur le bouton delete) ! Quel apparat ! Quelles... simagrées ?
Néanmoins, une cérémonie des adieux dans l'ensemble assez réussie, d'abord un peu coincée, au moment des retrouvailles entre Lili & Paul et leurs enfants et amie invités (mais la situation le justifie), et finalement assez touchante, où chacun tente de faire bonne figure et de cacher sa peur ou son chagrin.
Une cérémonie qui, pendant deux jours, passe en revue tout ce que la vie a de beau à offrir : les promenades en famille au bord d'un beau lac paisible ; des ciels immenses comme peints par un artiste de génie et traversés de bandes d'oiseaux miniaturisés par la distance ; des terrasses où l'on peut se recueillir seul ou à deux ; une serre pleine de laitues, etc., de fruits rouges divers, et où des poules circulent librement ; une maison vaste et spacieuse (j'y reviens) sur deux niveaux, aux grands parquets miroitants, avec des dépendances autour (garage, débarras, hangar à bateau), ça en pleine campagne (et au bord d'un grand lac, que surplombent les baies ou fenêtres de la maison), loin de toute habitation & agglomération, loin du bruit, des pestilences, des... pauvres et autres fâcheux.
Oui, certains critiques ont pu dire que c'était un drame tiré à quatre épingles et ce n'est pas tout à fait faux. Ni tout à fait vrai. En tout cas, aucun des participants de cette "cérémonie des adieux" n'est puant ou antipathique. La plupart sont même plutôt sympathiques.
Il y a, ici et là, quelques très belles scènes, notamment quand Lili (Susan Sarandon) distribue en cadeaux de Noël (puisqu'elle a souhaité qu'on fasse le réveillon de Noël avant l'heure, alors que le week-end se situe au moment du Thanksgiving, vers la fin novembre) tous les objets personnels auxquels elle était le plus attachée : ses plus beaux bijoux, son service en porcelaine, ses vinyles et jusqu'à son alliance de mariage, ce qui est une façon de bien faire rentrer dans la tête de chacun des convives que, demain à la même heure, elle ne sera plus, sinon un souvenir pour eux, que les cadeaux qu'elle leur fait leur rappelleront d'autant plus vivacement.


Je ne veux pas entrer dans les péripéties du week-end, ni détailler les différents membres de cette réunion de famille, les heurts, rancoeurs, cas de conscience qui vont l'agiter et pas davantage commenter le jeu des comédiens. Je vous laisse le plaisir de découvrir tout ça.


Même quand on le fait dans d'aussi bonnes conditions que possible, est-ce que décider par soi-même de mettre un terme à ses jours est un acte facile à accomplir ? Sûrement pas. Programmer soi-même sa mort, décider du moment précis où elle interviendra, n'est certainement pas facile. De ça, le film ne parle pas : quand démarre ce qui sera l'ultime week-end de Lily, sa décision est déjà prise (du moins, en parfait accord avec Paul, son mari, qui est docteur) et le moyen de la mettre en pratique : dispo sur une étagère de la cuisine.
Blackbird aborde l'euthanasie, mais n'est pas un film à thèse sur le sujet ; il s'intéresse davantage au déroulement des dernières heures qu'une malade incurable (qui a choisi d'en finir) partage avec sa famille de sang et de coeur. Bien que sous-jacente au film, l'euthanasie n'y est jamais traitée de façon explicite et lourdingue. Ce serait plombant, lugubre, insupportable. Ça ne l'est pas. Le film est beau, intéressant, pas désagréable à regarder. Et pas si irréaliste que ça.
Il n'interpelle pas véritablement, mais, quand même, oblige le spectateur à penser à ce qu'il ferait s'il était lui-même confronter à cette situation.


Blackbird n'est pas inoubliable, mais c'est un bon film, construit de façon à ce qu'on en discerne à peine les coutures (par exemple, lors du premier soir de ce week-end d'adieux, une scène apparemment anodine, mais de grande complicité, entre Lili et Liz, sa meilleure et vieille amie, prépare et aide à comprendre l'ultime rebondissement de l'histoire ; prêtez-y attention), pas si mal filmé et bien monté ; certaines transitions sont très réussies. Son utilisation de la musique est discrète, assez habile ; et l'interprétation juste, ne donnant jamais dans le mélo. Même l'ado de quinze, seize ans est au diapason.


Est-ce que le film nous fait la leçon ? Non. Est-ce qu'il milite en faveur de l'euthanasie ? À mon avis, oui. Quitter ce corps avant qu'il ne vous lâche, partir en beauté tant qu'on le peut, si possible avec l'accord et l'approbation de ceux qui vous sont chers et qui vous aiment, c'est le message qu'il nous adresse. Pourquoi s'imposer d'inutiles souffrances ?
La seule critique que je ferais au film est que cette cérémonie des adieux est un peu trop hollywoodienne à mon goût. L'ayant rétrospectivement rapproché, peut-être de façon impropre, du Cris et chuchotements de Bergman, je trouve qu'il souffre de la comparaison.

Fleming
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le 11 oct. 2020

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