Blade Runner ou l'histoire d'une déception

Familier des légendes filmographiques de la culture S-F voire geek, je n'avais jusqu'à il y a encore peu de temps vu Blade Runner. Fort de critiques dithyrambiques de la part de mon entourage autant que de la part de divers sites je m'étais résolu à palier ce manque au plus tôt. Hasard de la vie je tombais dans une librairie sur une édition du roman de Philip K Dick, renommé de "Les Androîdes rêvent-ils de moutons électriques?" en Blade Runner tentant de profiter ainsi de la notoriété et de l'engouement autour du fameux film. Et après une lecture avide, et malgré quelques critiques, je commençais à me reprocher cette lacune cinématographique. Fort heureusement j'avais à disposition une version Final Cut de la bête et je pus ainsi me lancer dans ce qui allait être une aventure pour le moins décevante. Après une première impression visuelle plutôt positive, l'image et la réalisation étant le seul vrai point fort du film à mon sens, et un travail impressionnant quant à la création d'un univers futuriste, on se retrouve vite confronté aux lacunes de l'adaptation de Ridley Scott. La musique se voulant futuriste, mais clairement hors de propos, à tel point qu'elle se fait bien trop remarquer. Et surtout, tout est creux. Les personnages sont vides d'intérêt, de Deckard en machine à retirer les androïdes fade, au commissaire cliché, en passant par la femme fragile, aucun de ces personnages n'a la moindre profondeur, sinon celle du vide abyssal de leur répliques. Que dire du "viol" du personnage de Rachel, des dialogues ne dépassant pas les 30 mots entre les protagonistes, et du jargon indéfini pour essayer de donner un peu de crédibilité à des personnages qui n'en ont pas. Peut être que la comparaison avec le livre ne devrait pas se souffrir, tant les différences sont énormes. Mais pourquoi avoir fait des choix aussi arbitraires sur tout les points clés de la nouvelle de Dick? Pourquoi passer de San Francisco à à Los Angeles? Pourquoi occulter l'aspect post apocalyptique qui justifiait à lui seul l'utilité et la fonction primaire des androïdes? Pourquoi changer les noms de tous les personnages? Pourquoi avoir fait d'une chanteuse d'opéra, une strip-teaseuse? Pourquoi avoir également éclipsé le fameux test Voigt-Kampf et en faire simplement un accessoire décoratif, alors qu'il pourrait être la clef de la différenciation entre humain et androïdes? De machines en quête d'humanité et du droit à l'existence après avoir atteint une forme de conscience mais malgré tout peinant à imiter parfaitement les émotions humaines, tuant uniquement pour leur survie dans le roman, elles deviennent de bêtes machines à tuer fâchées contre leur créateur, et ayant comme seul objectif la prolongation de leur durée de vie. Si des séquences ont trouvé grâce à mes yeux comme celle de la salle frigorifique par exemple, il m'est impossible de passer sur le ridicule de la scène du "Syndicaliste" où le tragi-comique du scénario ne tient la part belle qu'à celui du doublage pathétique de cette scène. Et si le "délire" de l'ambiance orientale du décor complètement hors sujet peut se voir comme une envie du réalisateur, comment défendre l'absurdité du personnage de J-F Sébastian et ses pantins ridicules? Ou la séquence interminable de la recherche sur photo? Mais encore à quoi sert l'homme aux origamis? Pourquoi les fameux Nexus-6 choisissent-ils systématiquement de faire tout, mis à part achever notre pathétique héros, comme lui mettre des baffes, faire des pirouettes ou réciter des poèmes, à l'instar d'un méchant de James Bond mû par l'irrésistible envie de révéler son plan diabolique à son ennemi juré, plutôt que de s'en débarrasser? Mais vraiment à quoi sert ce putain de type aux origamis? Autant d'aberrations scénaristiques que de dialogues et même de monologues ubuesques, achevées par un final des plus ridicules, ont fini de me convaincre que toutes ces années je n'avais vraiment rien raté. Car l'image, à mon humble avis, ne fait pas tout. Et si le roman/nouvelle de Dick a ses faiblesses, il a le mérite de maîtriser complètement son univers et de ne jamais se faire prendre en défaut quant à ce qu'il veut faire dire à ses personnages et à son histoire, tout le contraire du film éponyme. Cependant, bizarrement, je crois comprendre ce qui a fait la popularité de ce film: justement ce flou pseudo-artistique que nous sert R. Scott, laissant ainsi le public hypothétiser autour de ses lacunes, cherchant à les combler de leur mieux d'un contenu que le cinéaste lui même n'avait pas envisagé. Et profitant d'une époque friande d'univers futuristes (en atteste les Dune et autres films du genre de cette période) pour faire baver les rêveurs, sur des photos léchées et des décors soignés. Et c'est tout. Car tout est plat, et manque de mouvement. Quel est le point culminant du film? Il n'y en a pas. Et si le monologue de fin est bien écrit, il tombe à plat, à défaut de nous élever, par le pathétique du contexte. Car même en étant le meilleur acteur du film, notre aryen de service ne peut rattraper un Harrison Ford lamentable. Et la contradiction même du comportement de Roy Batty voulant la considération d'un être humain mais tuant tout le monde sur son passage à l'exception bien entendu du héros, pour finir lamentablement en récitant sa prose au lieu d'accomplir son but utilisant son restant de vie pour déclamer un fatras philosophique incongru, absent de tout le reste de l'histoire, censé nous éclairer sur sa nature profonde. Pour moi ce film est une vaste blague, où le ridicule d'une scène succède à la fadeur d'un dialogue, puis à la médiocrité d'une musique synthétique ayant pour seul mérite celui de faire penser à la nature synthétique des androïdes, où la question célèbre du "Deckard est-il une machine?" n'est là que pour voiler le vide, et où la seule véritable énigme reste le pourquoi d'un tel engouement encore aujourd'hui?

K-Mikaz
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le 17 août 2015

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