Blade ou la cuisse

J’ouvre un œil, me réveille et sort doucement mon corps de l’engourdissement. Devant moi l’immense fenêtre laisse rentrer le soleil qui cisèle la pièce en béton brut de sa lumière rougeâtre. Je devine, au son des pales, un ventilateur au-dessus de ma tête qui ombragent régulièrement le visage d’un l’homme assis en face de moi, me cachant ainsi sa figure.

— Qui êtes-vous ?

— Chuuuuuttt. On ne discute pas ! C’est l‘heure de manger.

Sur ces mots il pose le livre « Kubrick pour les nuls » sur la table qui nous sépare, juste à côté d‘un pot de nourriture pour bébé sur lequel l’étiquette indique « BLADE RUNNER 2049 » Regardant plus précisément autour de moi, je me rends compte que je suis perché sur un siège bébé en corten forgé qui m’apparait d’une hauteur Stalinienne. Le monde autour de moi semble au ralenti. Mon hôte, délicatement, ouvre le pot, y plonge une cuillère qu’il dirige ensuite vers moi. Lui-même s’avançant me révélant son visage.

— Allez une cuillère pour Papa !

— M’sieur Villeneuve !? Qu’est que vo..Hggg..humm….POUAH !

Le gout dans ma bouche semble être l’effet d’un travestissement. Un gout infecte maquillé d’une sauce succulente, quoi que légèrement vieille, et qui perd en saveur à chaque seconde passée dans ma bouche.

— Harf…mais c’est immonde ! M'sieur Villeneuve pourquoi vous faites ça ?

— Immonde ! Tabarnak, tu n’as pas honte ?! C’est pépé Roger qui a préparé à manger juste pour toi !

A cet instant Un homme élancé, les cheveux couleur argent, apparait dans les saccades lumineuses des pales, laissant par moment, sur son regard, une brillance écarlate. Ce dernier dépose sur la table un bol d’où se dégage un fumet exquis.

— M’sieur Deakins ? Qu’est que c’est que tout ça ? Qu’est qu’il se passe ?

Impassible, l’homme se retourne sans un mot et disparaît dans l’ombre de la pièce. Villeneuve, indolent, engage la cuillère dans le bol et accueille en son sein un breuvage dont l’odeur vient ravir mes narines. Presque par réflexe, mes yeux se ferment et ma bouche s’ouvre en grand.

— Allez ! On fait Haaaa !

— HAAAAAAaaaaa…aaaaaa.haaaaaa…aaaaaaa…….haaaa…. Heuu..Ha

Trop curieux des raisons de cette sempiternelle attente, je décide d’entrouvrir une paupière afin de jeter un œil à la situation. La bouchée préparée par Deakins n’est plus qu’à quelques centimètres de ma bouche et son doux fumet me chatouille le renifloir. Soudain Villeneuve retire brusquement le couvert et m’enfourne une autre cuillère qu’il cachait derrière son dos. Un bout de caoutchouc. Sans gout, Du pneu que je mets des plombes à mâcher et dont j’appréhende déjà la digestion. Cette torture culinaire dure encore une heure. Durant ce temps une partie de la mixture échoue sur le sol, stigmates de la lutte entre mon tortionnaire et moi. A ma grande surprise d’étranges moutons électriques se ruent sur la substance pour s’en délecter tout en répétant en chœur :

« C’est trop bi111001001011101010101011010111 !!! »

Encore une heure plus tard et mon estomac est sur le point de lâcher. Mes limites physiques sont atteintes. Dans un dernier effort, j’essaie de verbaliser mon désarroi lors d’une énième tentative de Villeneuve de m’insérer son étrange concoction.

— Non m’sieur Villeneuve ! j’en peux plus ! Burp…

— Allez encore une bouchée!

— Mais ça fait deux heures..ROT… qu’on y est ! En plus vous avancez la cuillère...BURP… super lentement.

— Deux heures déjà ! Comme le temps passe vite. Allez plus que 40 min ! »

— Quoi ! 40 min ! Ah non mais j’en peux plus »

Soudain !

« POIIIIINNN! »

« POOOIIINNNN ! »

« POOOOOOIIIIIINNNNN ! »

— C’est quoi encore ce truc ?

— J’ai appelé Tonton Hans pour qu’il t’aide à finir ton assiette

— Hans ?! Hans Zimmer ! Oh non c’est pas vrai !

Zimmer muni d’une vuvuzela se met à gesticuler autour de moi tout en s’époumonant dans son instrument. S’emparant de la cuillère il sort du pot un morceau visqueux qu’il amène vers moi en me disant :

— ARF ! Mein kind, regarde le zoli Spinner! Schnell ! On ouvre grand la porte du garage !

Toujours abasourdi par la prestation de Zimmer, je ne perçois pas tout de suite l’arrivée du couvert s’approchant dangereusement de ma bouche. En reculant ma tête je tente d’interpeller mon bourreau.

— M’sieur Zimmer? C’est quoi ce bout de vian….gloups……HEURK !!!

— Voilà ! Ein gutes morceau d’Harrison Ford ! Das gut hein ?

— HEURK ! MAIS ELLE EST MOISIE VOTRE VIANDE ! VOUS VOULEZ M’EMPOISONNER OU QUOI ?!

Villeneuve, qui avait quitté la table pendant ce temps revient s’assoir à coté de nous en m'insultant.

— Maudit niaiseux, qu’est qu’il fait comme comédie ! Allez, il faut tout finir ! Et après, on passe au dessert!

Sur ces paroles Villeneuve pose un autre pot de bébé sur la table dont l’étiquette mentionne:«DUNE »

— NOOOOOOOOOOOONNNNNN !!!!!