Nombre de films culte (2001, Le parrain, Alien, The thing, Psychose…) ont eu droit un jour à leur suite, à leur remake ou à leur reboot (pour le meilleur, rarement, comme pour le pire, généralement), alors que l’idée même de telles entreprises paraissait présomptueux, infamant, voire blasphématoire (une suite à 2001 et à Psychose, vraiment ?). Blade runner, lui, demeurait intouchable, au-delà de cette démarche flirtant trop souvent avec l’opération commerciale et la fausse bonne trouvaille marketing. Produite pourtant par Ridley Scott, co-écrite par Hampton Fancher (respectivement réalisateur et co-scénariste du Blade runner originel) et réalisée par Denis Villeneuve, l’un des metteurs en scène les plus brillants du moment, cette suite n’augurait rien d’engageant ni de prometteur.


Tout simplement parce que Blade runner, éternel, unique et sans chercher à le sacraliser (un peu quand même), ne pouvait souffrir d’une quelconque séquelle qui tenterait de reproduire, de démythifier et d’expliciter (de dévoyer ?) l’œuvre maîtresse, et parce que Blade runner se devait d’entretenir son héritage, ses secrets et ses splendeurs à notre seul souvenir, à nos seules imaginations. Trente ans donc après les événements du premier opus qui voyaient Deckard et Rachel fuir Los Angeles, ses rêves de licorne et ses ciels noirs striés de torchères, ce Blade runner 2049 s’inscrit clairement dans un prolongement narratif (avec les deux amants au cœur d’une histoire de filiation impossible et de révolte humaniste) et cherche, sur certains points, à lui rester fidèle (quitte à se montrer, parfois, démonstratif et maladroit : le clone de Rachel, l’effigie du cheval après celle de la licorne ou la mort de K calquée sur celle de Roy Batty, musique de Vangelis en sus et les flocons de neige remplaçant les gouttes de pluie), mais souhaitant évidemment s’en affranchir pour livrer davantage qu’une pâle copie, qu’une vulgaire imitation.


Certes, Villeneuve et Roger Deakins (à la photographie) parviennent à égaler, en termes de réalisation et d’esthétisme, la puissance visuelle de Scott et de Jordan Cronenweth, et s’il y a un point sur lequel Blade runner 2049 est au moins une réussite, c’est bien celui de sa richesse stylistique : le Las Vegas orangé, les intérieurs de la Wallace Corporation, Los Angeles baigné de mille nuances de gris… Pour le reste en revanche (entre autres l’affreuse musique de Hans Zimmer et Benjamin Wallfisch, mix improbable de pompe nolanienne et de nappes de synthé à la Vangelis), et en particulier son scénario, c’est la douche froide.


Fancher et Michael Green ont tricoté une intrigue pas spécialement originale partant d’un postulat (Deckard et Rachel ont eu un enfant) que l’on trouvera, au choix, pertinent ou ridicule (éventuellement les deux). Au-delà de la nécessité (ou non) d’un tel point de départ, le scénario se perd en circonvolutions, en détails et en séquences inutiles (l’attaque du véhicule de K, l’usine avec les enfants…) qui viennent alourdir l’ensemble, voire qui neutralisent ses thèmes et son propos : ascendance de nos souvenirs (jusqu’à leur tangibilité), droit conscient à l’existence, virtualité de nos affects, nostalgie d’un monde qui n’a plus que ses ruines pour pleurer…


Quant au traitement des personnages, là on frise un certain amateurisme, la profondeur en moins (c’est dire). Ryan Gosling n’est qu’un bloc de béton incapable d’étoffer son rôle de réplicant en mode «humain après tout», Harrison Ford ne sert pratiquement à rien, Jared Leto, en grand manitou cinglé, ne provoque jamais le moindre sentiment de crainte et de majesté (sans parler de chacune de ses tirades, tellement emphatiques qu'elles en deviennent risibles), Sylvia Hoeks (Luv) rappelle plus ou moins Kristanna Loken dans Terminator 3, tandis que Joi (Ana de Armas), censée apporter une éventuelle réflexion sur les bénéfices et les limites de l’intelligence artificielle, n’est qu’une pièce rapportée négligeable dont les scènes, pour la plupart inutiles elles aussi, détraquent constamment le récit. Eldon Tyrell, Batty, Rachel, Pris et Zhora nous manquent soudain terriblement…


Là où le film de Scott relevait du mouvement quasi organique, émerveillait et bouleversait d’un rien (il suffisait à Sean Young de simplement détacher ses cheveux puis de les recoiffer, assumant alors une entière féminité, pour nous subjuguer et nous émouvoir), Blade runner 2049 semble atone, distendu, sans aspérité. C’est trop long, trop propre, trop indigeste, on s’ennuie souvent et on s’ennuie ferme. Au demeurant, les deux films savent jouer de contemplations et d’ambiances, de ruptures et de peu d’action, mais celui-ci néglige pourtant l’essentiel : un supplément d’âme. Une poésie, un mystère, des zones plus sombres. Entre continuation, dévotion et trahison, Blade runner 2049 pâtit de son envie à vouloir, dans un même temps, se démarquer de son illustre modèle et perpétuer une des mythologies les plus emblématiques du septième art. Démythifier disais-je, dévoyer l’œuvre originale… Souvent on n’en est pas loin.


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mymp
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le 5 oct. 2017

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