Depuis longtemps ma fille, pourtant tout aussi cinéphile que moi, m'enjoins d'abandonner l'ostracisme anti blockbusters auquel je me laisse aller. Comme la musique industrielle, le cinéma industriel me rebute d'emblée. Tout simplement parce que l'image est laide. Enfin, tout dépend si l'on aime les couleurs criardes et les images très contrastées... Une chose rédhibitoire pour moi en particulier, c'est l'esthétique de jeu vidéo. D'où mon inquiétude lorsque, au bout de quelques secondes, un vaisseau spatial se détache sur le décor, exactement comme s'il était au bout du joystick...


Des images comme celles-là, il n'y en aura pas trop, ouf. Et ce Blade Runner 2049 va s'avérer d'une grande puissance visuelle, à mille lieux de l'image que j'ai des blockbusters. Dont acte.


Exemple, tout ce qui se déroule au siège de Wallace, ces reflets tout de jaune qui ondoient de multiples manières, univers aquatique assez fascinant. Exemple aussi, les gigantesques statues, à Las Vegas, entre lesquelles chemine K. Ou encore cet arbre desséché, référence à Tarkovsky (le Sacrifice)...


Car des clins d'oeil, il y en a beaucoup dans ce remake de Blade Runner : à l'original bien sûr, mais je ne suis pas assez passionné par celui-ci pour les avoir appréciés. Mais aussi à Kafka, avec le nom du héros tout simplement, à Tarkovsky encore avec les scènes dans l'usine désaffectée (Stalker) ou par la thématique même du film (Solaris), à Kubrick (Shining), avec la scène au casino lui aussi à l'abandon.


Se référer au cinéma ou à la littérature les plus austères pour réaliser un blockbuster, un pari audacieux ! Et plutôt gagné, grâce à la qualité plastique du film et à la lenteur que s'autorise Villeneuve. J'ai donc bien fait de passer au-delà de l'affiche, qui avait tout pour me rebuter.


Ce n'est pas tout : quelques scènes sont originales, et même troublantes. Ainsi la scène où K enlace une vraie femme, à laquelle se superpose l'hologramme Joi. Très réussi. Vraiment intéressant aussi cette manière de montrer chez des robots, qu'ils soient réplicants ou hologrammes, des sentiments humains. De temps en temps, de gigantesques pubs holographiques nous rappellent que Joi dit "ce que vous avez envie d'entendre". Il y a donc là un jeu de faux semblant vertigineux : Joi n'aime pas K, elle capte ce qu'il a envie d'entendre et ajuste son comportement. Oui, mais K n'est pas humain, l'amour qu'il réclame n'est donc qu'un leurre lui aussi... Pas mal.


La scène avec les enfants qui sont mis en esclavage a également une certaine force. D'une manière générale, le futur que nous présente Villeneuve est désenchanté, sans espoir. La brume omniprésente et la grisaille qui colore toute la ville transmettent très bien cette vision. Et les quelques moments allègres ne sont que des réminiscences du temps passé : Elvis Presley, mais en hologramme alors que K se bat avec Deckard (très belle scène aussi), Sinatra en hologramme toujours dans un standard mélancolique (One for My Baby), la nature verdoyante qui n'est qu'une projection d'Ana Stelline. Et puis ce petit cheval de bois, enjeu de toute l'intrigue - allez, pourquoi pas une référence à L'Iliade pour faire bonne mesure...


A bien des égards donc, le film impressionne, même s'il est très long (j'avoue l'avoir regardé en deux fois, ce qui passe beaucoup mieux sans doute). Mais c'est tout de même un blockbuster, et certains gages doivent être donnés : on aura donc une figure de méchant un peu ridicule avec ses yeux translucides, des scènes de combat d'une grande banalité, et une thématique "les gentils contre les vilains" bien comme on l'attend du cinéma hollywoodien. Et puis tout cela reste tout de même assez peu profond. On est bien loin de Tarkovsky précisément.


7,5 : un score titanesque pour un cinéphile comme moi nullement porté sur la science fiction...


Ah, une dernière chose : j'apprends grâce à ce film que Peugeot existera toujours en 2049 (ils ont dû mettre pas mal de pépètes dans le film). En voilà une bonne nouvelle. Ah mais non, ça c'était avant le Covid-19...

Jduvi
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le 3 juil. 2020

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Jduvi

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