Blade Runner 2049 n'est pas Blade Runner, tenons-le nous pour dit. Cette suite produite par Ridley Scott et réalisée par Denis Villeneuve passe après trente-cinq années de cinéma influencé par le phare S-F qu'est le film de 1982. Et, s'éloignant avec verve des carcans hollywoodiens, elle a besoin d'être digérée, d'être revisionnée, pour pleinement réaliser son statut évident de grande réussite. Car comme son aîné, mais à sa manière, le métrage est une oeuvre consciente maîtrisée qui traverse toutes les transcendances pour atteindre l'amer mélancolie.


Là où Blade Runner épousait un caractère réfléxif quasi-métaphysique dans son état d'oeuvre hybride et mutante sur le long terme, Blade Runner 2049 étreint frontalement dans la forme et dans le fond la conscience fondamentale de son statut de suite. Le scénario du film se révèle déjà comme un kaléidoscope de cette hantise qui devient un véritable moteur : la quête de l'agent K se dévoile progressivement comme une obsession double, d'abord la poursuite des souvenirs, les sentiments du passé et ses influences sur le présent, et de surcroît la recherche d'une filiation, tirer des origines. Le vecteur commun se trouvera être la relation tardive entre le héros et l'ex-agent Deckard, car ultime allégorie d'un film qui cherche son aïeul dans les lymbes radioactives des arcanes du cinéma, méfiant païen. Et le constat devant et au-delà de l'écran sera en fin de compte le même : cet héritier filmique est autre, perpétuant puis assumant sa condition en silence.


De cette conscience plus frontale et moins mystique émane le seul véritable défaut de cette suite : le film est bien trop démonstratif. Le mystère, les ténèbres béantes dans l'histoire du premier film faisait tout son charme. Un envoûtement que méritait le film de Villeneuve, mais quelque peu empoisonné par les sur-explications, des détails de l'intrigue qui inévitablement se retrouvent palabrés dans des dialogues dispensables et autres (plus rares) flash-backs. Quinze à vingt minutes en moins à effacer les facilités narratives lui auraient fait le plus grand bien, et alléger même l'extension réalisée vers le premier film. Mais peut-être est-ce le lot du cinéma contemporain qui recherche à avoir du cœur : car Blade Runner 2049 est avant toute chose un film sur l'amour.


Derrière son aspect spectaculairement glacial, voire carrément clinique, se cache toutefois une âme pour qui saurait (ou voudrait) voir. Car cette aura quasi-hermétique renferme toute la puissance de désillusion que projette le film, un souffle d'espoir d'amour au cœur d'une humanité bouillonnante sur le déclin et qui ne parvient jamais à dépasser la demi-teinte, laissant progressivement le spectateur à la limite, constamment dans une stratégie de fascination altérée. Il y a la recherche désabusée d'une affection ascendante, la vénération sadique de créations idolâtrées, et bien sûr cette relation aussi romantique que désenchantée avec la magnifique figure virtuelle interprétée par Ana de Armas - qui livre d'ailleurs l'une des plus sensuelles et inventives scènes de préliminaires du cinéma. Et dans ce contraste étonnant entre l'immobilité glaçante du rythme visuel, même dans l'action et le grand spectacle, et ces transcendances incroyables de violence et de sexualité, que repose le véritable charme de ce film qui transcende aussi finalement sa condition de blockbuster à 200 millions de $ et explose les barrières. Un délice viscéral.


Aussi attendu (mais bien moins craint) que son état de suite de la cathédrale Blade Runner, c'est bien le travail de Roger Deakins à la photographie qui mettait sévèrement l'eau à la bouche. Et dire que le résultat final est une merveille serait un doux euphémisme. Blade Runner 2049 est un délice visuel extraordinaire où jamais un plan ne déçoit, où chaque image même quelconque est un grand plaisir de cinéma. On se sentirait presque dépassés par tant de grandeur, à la lisière du surnaturel : un arbre mort au sein de brumes impénétrables, d'homériques statues dans un orangé acide, d'intenses néons pourpres transformant le sang en pétrole, un halo blafard rendant l’âpreté froide de l'autorité... De main de maître, Villeneuve ne se laisse jamais dépasser et maîtrise à merveille son sens du cadre, conservant l'hypnose de ses lents travellings et l'ingéniosité de ses transitions.


Au sein d'une direction artistique chef d'oeuvre, l'environnement musical précipité de Benjamin Wallfisch et Hans Zimmer fait presque pâle figure, errant dans l'ambiance âpre du film tel un fantôme des nappes éléctriques de Vangelis. Les musiciens n'ont pas eu le temps de faire autre chose, à vrai dire. Un autre fantôme qui lui fait plaisir à voir, c'est le retour d'Harrison Ford. Quel plaisir de voir Villeneuve le faire revenir en grandes pompes, le faire suer, saigner, pleurer, même si ce n'est que l'espace d'un clin d’œil. Le plaisir se répète avec Ryan Gosling qui, sous la peau hermétique qu'on lui connaît, explose enfin dans des emphases de violence salvatrices. Ce duel convergent de gueules, certes retardé, rend alors bien fade la performance fanatique de Jared Leto - là aussi l'allégorie polarisée d'un kaléidoscope aux multiples couches qui, à trop en faire, laisse l'axe de création en dommage collatéral non pas pour distiller son épigramme mais son essence, son âme.


Blade Runner 2049 n'est pas à la hauteur stratosphérique de son aïeul, mais l'exercice modelé par Denis Villeneuve, d'une beauté renversante, offre en fin de compte de nobles et humbles intentions : perpétuer avec succès la mythologie du film de 1982, en toute conscience du poids de l'héritage, et ouvrir de nouvelles fenêtres quelques pluies secrètes, l'amour tut, l'extinction en sous-sol. Une dualité se forme incessamment, entre l'épure de longs silences et un récit surexploité, les souvenirs numériques et la renaissance sirupeuse, l'équilibre sibyllin de ses deux figures de proue... et la division fondamentale des adulateurs. Mais la résultante demeure : la conservation d'un mythe dans le formol d'une quête identitaire désabusée, le constat amer de l'humain rendu à n'être que l'ectoplasme d'une autre temps.


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MaximeMichaut
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le 5 oct. 2017

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