Des promesses à tenir et des miles à parcourir avant de revivre

Fraîchement rejeté du projet Ant-Man par l'écurie Marvel, Edgar Wright s'est lové dans l'un de ses amours majeurs de cinéma, The Driver de Walter Hill, pour enfin donner naissance à un projet vieux de plus de vingt ans : Baby Driver, oeuvre-cure et film-somme où le cinéaste s'accapare le genre tellement cinégénique du braquage pour débrider le frénétisme de son dispositif et déchaîner les passions.


Comme moteur, Wright décide d'embrasser tête baissée les poncifs du genre dans un scénario tout à fait classique, nourri au trauma d'enfance, à la malédiction de l'ultime coup et à la romance rédemptrice. Pas de dérision ni de fioritures préméditées, l'auteur prend son sujet au sérieux. Tellement que la violence du dernier acte, à rebours, explose et nous prend à la gorge... L'intelligence grisante du bonhomme, c'est surtout de se cacher sous le capot pour bidouiller ce moteur relativement classique et installer l'unique élément qui va transcender toute la carrosserie : la musique.


Derrière le titre Baby Driver se cache la chanson éponyme de Simon & Garfunkel, indice premier d'un film guidé de la première à la dernière minute par la musique, dans son scénario, son mixage et son montage. Le Quatrième Art devient ici l'ADN du Septième, guidé au volant par ses claquements de doigts. Le tempo dont use ici Wright est d'une folie et d'une maîtrise incroyable : la majeure partie du film, le personnage de Baby et son environnement interagit en parfaite adéquation avec la musique qu'il écoute, appartenant systématiquement à la diégèse. Un geste, un claquement de porte, un coup de feu, une ligne de dialogue, tout est sublimé par l'art du découpage en osmose avec la chanson utilisée. Seule celle-ci invoque la cohérence du récit et des actes, par le prisme d'une subjectivité double, celle du protagoniste principale et celle du cinéaste. Comme dans une comédie musicale, Wright empoigne le levier de ces fulgurances pour un spectacle total et des émotions exaltées.


Ce mantra n'a également de cesse de sublimer la pure mise en scène qu'offre Edgar Wright, dont le langage cinématographique des plus enthousiasmants fait toujours sens, un cycle d'idées qui complète encore et toujours ses motifs visuels. Il n'y a qu'à prendre le plan-séquence qui ouvre le film, remake d'un plan emblématique de Shaun of the Dead qui perpétue le mouvement et le chorégraphie comme démonstration d'un mode de vie, d'une routine, qui va se voir chamboulé par l'amour et l'apocalypse. C'est sans compter le symbole fort des petites choses, un reflet dans la vitre sphérique d'un lave-linge qui couple la tendresse à la ritournelle d'un trente-trois tours, une palette de couleurs du décorum qui s'adapte à la musique et aux sentiments du personnage... Chaque trouvaille de Wright est un petit coup d'accélérateur qui fait dévier les personnages de leur axe attendu.


Dommage que le film oublie quelques subtilités sur son chemin. On regrettera que Debora, l'ange dans le rétroviseur de Baby joué par Lily James, tombe dans les failles du scénario qui ne lui accorde pas assez de place. De même pour Bats, le personnage de Jamie Foxx, qui s'enfonce dans les archétypes du gangster détestable pour piètrement cacher le véritable antagonisme inhérent qui apparaît derrière la course du billet vert... De légères déviations qui entachent très peu la vraie nature du film qui est une oeuvre romantique : le coup de cœur, l'amour de la création, l'attachement à la figure paternelle, la mélancolie de l'absence, et surtout la passion de toutes leurs ambiguïtés, que la relation entre Baby et son boss (Kevin Spacey) invoque avec tout ce qu'il faut de justesse.


Des promesses à tenir et des miles à parcourir avant de revivre : Baby Driver, c'est le genre de film qui sidère par son expression ahurissante de cinéma, bolide surpuissant crissant des pneus sur une route relativement simple et universelle, tel Mad Max Fury Road il y a deux ans. Edgar Wright manipule avec un tempo surnaturel le heist movie qu'il semble chérir à cœur ouvert, pour mieux y insuffler quelques notes d'utopie, de l'amour et de rage. Un exercice brillant.


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MaximeMichaut
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le 22 juin 2017

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