Si le projet de donner une suite au monument cinématographique qu’est Blade Runner a pu provoquer un émoi considérable parmi toute une génération de cinéphiles, la vague d’émotion a toutefois vite été nuancée par le nom qui se cachait derrière le projet. Et pour cause, Denis Villeneuve nous montre depuis la fin des années 2000 qu’il est un auteur majeur du cinéma contemporain et ne cesse de surprendre et d’émerveiller son spectateur à chaque sortie de l’un de ses longs-métrages, d’Incendies à Arrival, de Prisoners à Enemy. Avec Blade Runner 2049, le réalisateur canadien repousse une fois encore les limites de son audace afin de prolonger la contemplation dystopique amorcée par Ridley Scott.



L'héritier.



Entre héritage assumé et extension de l’œuvre originelle, Blade Runner 2049 trouve rapidement un équilibre aussi bien narratif que formel. Denis Villeneuve saisit à merveille les enjeux de la première réalisation et s’il propose certes un hommage vibrant à ce qu’a pu construire Ridley Scott en 1982, il parvient surtout à ouvrir de nouvelles perspectives esthétiques et scénaristiques. De fait, c’est bien le sentiment d’élargissement qui domine la réalisation de Villeneuve ; ce dernier part véritablement de ce qui a été créé auparavant pour lui donner une nouvelle dimension, partageant avec le spectateur un sentiment nouveau de vertige. Le cinéaste fait en ce sens inévitablement sien l’espace de la dystopie et prolonge habilement l’expérience de l’œuvre de Ridley Scott.


En choisissant par ailleurs de respecter le rythme de Blade Runner, Denis Villeneuve marque lui aussi sa volonté d’offrir au spectateur une expérience qui dépasse le simple spectacle de démesure. On sait l’œuvre originelle emprunte d’un certain attrait philosophique, et Blade Runner 2049 s’avère également riche de réflexions proprement humanistes, qu’un rythme somme toute assez lent permet de mettre en valeur. Villeneuve ne précipite jamais l’action et propose, au contraire, une contemplation aussi bien esthétique qu’humaniste. Etalant sa maestria rythmique, le réalisateur parvient néanmoins à alterner entre ces phases de contemplation et les soubresauts de l’action, notamment dans le dernier tiers de l’œuvre où cette dernière se substitue à l’émotion pour offrir un spectacle plus âpre. Malgré ses quelques trois heures, Blade Runner 2049 ne s’essouffle jamais et tient constamment son spectateur dans sa position de contemplateur, le bousculant, l’interrogeant et le stimulant.



Une poétique de la ville picturale et géométrique.



Bien que Denis Villeneuve soit avant tout reconnu pour ses schémas narratifs singuliers, en témoigne son affection des motifs labyrinthiques, que l’on retrouve ici dans leur forme primaire, c’est-à-dire visuelle, il semblerait que Blade Runner 2049 soit avant tout un projet esthétique abouti. L’auteur canadien déploie effectivement une palette artistique monumentale et essaime des idées artistiques variées tout au long de la réalisation, qu’il s’agisse de la prééminence des formes géométriques, du jeu sur les focales ou encore de la colorimétrie ocre qui domine la seconde moitié du film (et qui, par ailleurs, n’est pas sans rappeler ce que proposait Justin Kurzel dans Macbeth). Villeneuve impressionne également lorsqu’il filme l’urbain, alternant entre des travellings vertigineux et des plans aériens impressionnants que l’on remarquait déjà dans Sicario.


Le réalisateur de Polytechnique oscille de ce fait entre un style épuré, composé uniquement de formes géométriques, et une esthétique de la démesure, qui semble se définir par une forme de Sublime urbain, tant le cadre écrase et les protagonistes, et le spectateur plongé, lui aussi, dans ce futur dystopique ; le traitement sonore de la réalisation semble par ailleurs servir ce propos, tant celui-ci se révèle intrusif et assourdissant par moments. Maniant tous ces éléments esthétiques avec une justesse rare, Denis Villeneuve signe finalement une œuvre considérablement picturale, multipliant les tableaux iconiques, eux-mêmes sublimés par un nombre impressionnant de plans fixes, la caméra épousant alors le rythme contemplatif de l’ensemble de la réalisation.



L'empire des sens.



Enfin, Blade Runner 2049 franchit le pas entre contemplation visuelle et expérience sensorielle ; même si Denis Villeneuve accule le spectateur à travers le son et les jeux de lumière agressifs, c’est avant tout sur l’émotion que repose sa réalisation. De fait, l’expérience sensorielle se mue en expérience émotionnelle et se manifeste à travers le souffle proprement poétique de l’œuvre, si ce n’est l’expiration élégiaque de cette dernière. La quête identitaire du personnage principal évite l’écueil de l’action à outrance et prend le temps de développer une réflexion humaniste qui s’appuie sur les sentiments de ce dernier. Blade Runner 2049 se révèle être non pas uniquement une simple dystopie, mais surtout une plainte déchirante qui interroge fondamentalement l’humain, reprenant ainsi le flambeau de la réalisation originelle. Cette introspection de l’âme humaine est quant à elle sublimée par le jeu de Ryan Gosling dont l’expression faciale semblait une évidence pour faire transparaître ce déchirement sentimental et identitaire.


De la frontière entre rêves et réalité à la question de notre rapport au temps, Blade Runner 2049 multiplie les réflexions profondes et croise les destins de deux hommes perdus dans un monde qui s’est déjà effondré, en quête d’un passé occulté, d’une force nouvelle, qu’il s’agisse de l’amour sentimental ou de l’amour familial. Plus que jamais, Blade Runner 2049 interroge la foi de ses protagonistes, leurs motivations, leurs réactions aussi bien face à l’inconnu que pour ce même inconnu. Denis Villeneuve élargit les perspectives de son œuvre et nous plonge au cœur d’une crise identitaire profondément sentimentale, qui dépasse l’antinomie première de l’humain et du replicant.


Poétique, intelligent, éblouissant, Blade Runner 2049 répond à merveille à son prédécesseur et semble parti pour s’imposer, lui aussi, comme un monument du paysage cinématographique contemporain. Denis Villeneuve signe une œuvre aussi riche sur le plan esthétique que sur le plan psychologique et projette son spectateur dans un voyage émotionnel et sensoriel fort. Le réalisateur canadien nous invite alors à une véritable contemplation de cette extension élégiaque qu’est Blade Runner 2049 par rapport au travail de Ridley Scott et signe l’une de ses œuvres les plus abouties, elle-même reflet du cheminement cinématographique du réalisateur d’Arrival.


Critique à retrouver ici.

vincentbornert
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2017

Créée

le 4 oct. 2017

Critique lue 298 fois

2 j'aime

vincentbornert

Écrit par

Critique lue 298 fois

2

D'autres avis sur Blade Runner 2049

Blade Runner 2049
Djack-le-Flemmard
5

Blade Ruinneur

Denis Villeneuve est un metteur en scène qu'on apprécie. Sicario, Enemy, Premier Contact... la plupart de ses œuvres sont puissantes, et on sait le bonhomme capable de mettre une beauté plastique...

le 4 oct. 2017

210 j'aime

40

Blade Runner 2049
Chaosmos
9

Simulacres et simulation

Pourquoi Blade Runner 2049 ? Cette question se posait à l'annonce d'une suite aussi intrigante qu'inquiétante et force est de constater qu'elle se pose encore aujourd'hui. La nouvelle création de...

le 5 oct. 2017

161 j'aime

32

Blade Runner 2049
Behind_the_Mask
9

Solitudes hémorragiques

Pour ne pas être seul, on se réfugie dans une mégalopole techno. On vit les uns sur les autres dans des cités dortoirs. Et personne ne se connaît. Et les rues sont remplies, de gens qui baissent la...

le 4 oct. 2017

154 j'aime

35

Du même critique

La Promesse de l'aube
vincentbornert
6

J'ai vécu.

Adaptation de l’un des plus grands romans de la littérature française de la seconde moitié du siècle dernier, La promesse de l’aube d’Eric Barbier est un beau défi pour ce qui est de rendre hommage à...

le 20 déc. 2017

26 j'aime

Detroit
vincentbornert
6

Des droits

Alors que les deux derniers longs-métrages de Kathryn Bigelow interrogeaient l’interventionnisme étasunien au Moyen-Orient, la réalisatrice choisit, avec Detroit, de recentrer sa caméra sur le sol...

le 8 oct. 2017

15 j'aime

3

Gauguin – Voyage de Tahiti
vincentbornert
4

Koké vide

Alors que l’on voit, depuis quelques années déjà, fleurir les portraits de grands représentants de la culture européenne (de Cézanne à Rodin, de Turner à Karl Marx), Edouard Deluc se plie, lui aussi,...

le 21 sept. 2017

11 j'aime