Un film brésilien, canadien et japonais. Un réalisateur brésilien. Des acteurs essentiellement américains, mais pas que. Une chose semble évidente : Blindness est un film cosmopolite, mais pas que. Ce film peut se targuer d'aborder tous les sujets qu'un The Mist (Frank Darabont, 2008) et qu'un 28 Days Later (Danny Boyle, 2003) ont si brillamment traité, mais pas que. Car à la différence de ces deux références, nul besoin de monstres, ni de virus sorti tout droit d'un Resident Evil, le mal est une simple épidémie infligeant la cécité, mais pas que.
Vous l'aurez compris, Blindness est un film profond, une réussite qui évite les pièges dans lesquels bien d'autres productions ont sauté dedans à pieds joints, un long métrage menant habilement le spectateur à la réflexion tout en le divertissant.

Mais pas que...

Fernando Meirelles n'est peut-être pas un nom qui vous évoque quelque chose, mais pourtant il est le réalisateur de deux merveilles : d'abord La Cité de Dieu (2003) mais surtout The Constant Gardener (2005) dont il est impensable de ne pas y jeter un coup d'oeil tant ce film est une réussite et un succès critique (avec tout de même l'Oscar de la meilleure actrice pour un second rôle attribuée à Rachel Weisz en 2006). C'est donc avec grand plaisir que nous le retrouvons sur grand écran, trois ans après sa dernière réalisation.

D'autant que le metteur en scène nous revient avec un casting 3 étoiles.
Tout d'abord Julianne Moore (Hannibal), qui même si elle n'a jamais pu acquérir le statut de grande star, possède une filmographie à rendre verte plus d'une actrice, d'autant qu'elle a tourné avec de grands noms (Ridley Scott, Gus Van Sant, Paul Thomas Anderson, Joel Coen, Robert Altman, Richard Donner, Barry Levinson... excusez du peu !). Mark Ruffalo n'est pas en reste et l'on citera surtout sa prestation dans le dernier Fincher, Zodiac. Deux invités de marque, à commencer par Gael Garcia Bernal (Babel) et Danny Glover, célèbre pour son rôle de Roger Murtaugh dans la série des Lethal Weapon (et dont la rumeur d'un cinquième opus persiste actuellement). Bref, de très bons acteurs ayant de la bouteille, et qui ici sont tous dans le ton. Un régal.

Au delà du casting, il y a une histoire. Et celle-ci est une véritable mise en abîme de l'être humain, dans tout ce qu'il a de bon (un peu) et de mauvais (surtout).
Imaginez une contamination dans une grande ville (ici São Paulo) causant la cécité soudaine. La différence étant qu'au lieu d'être plongée dans le noir, la victime a la vue plus qu'enneigée. Evidemment, le gouvernement s'emballe, et décide la mise en quarantaine immédiate des pestiférés. C'est ce qui arrive à Mark Ruffalo, ophtalmo' contaminé par l'un de ses patients, dont la femme (Julianne Moore), étrangement immunisée au mal, décide de le suivre et de devenir ses yeux. Elle deviendra les yeux du spectateur par la même occasion, témoin de la chute progressive du semblant de société dans lequel nous nous restreignons.

Le constat s'opère en deux mouvements.
Tout d'abord, l'essentiel du long métrage se situe en huit clos, dans un hôpital désaffecté. En premier lieu les bonnes âmes tentent de s'organiser, étant livrées à elles-mêmes par leurs semblables voyants. Mais très vite le chaos s'installe à cause du dortoir 3, où le "Roi" Gael Garcia Bernal décide de faire appliquer la loi du plus fort. La nature cruelle de l'être humain est ici parfaitement mise en scène, et les scènes révoltantes mais en même temps si crédibles s'enchaînent, au point que les femmes devront monnayer leur corps pour un peu de nourriture.
Par la suite, le film prend une tournure apocalyptique, où les protagonistes, libres, suivent leur guide qui se fraye un chemin à travers une ville dévastée, remplie d'âmes errantes, de malheureux affamés, de chiens carnivores. Violence, haine, misère, le sujet est traité de manière frappante et poignante.

Au delà d'un scénario fort bien mis en scène, il y a une invitation du réalisateur à la réflexion : voyons-nous réellement ou sommes-nous au final de grands aveugles, fermant volontiers les yeux sur bien des choses ?
Le film pose habilement la question sans épingler une réponse. Pas plus qu'il ne va trouver une punition pseudo-divine dans l'affliction, même s'il pose les jalons vers cette possibilité avec une courte scène fort bien pensée alors que les personnages approchent d'une église.
C'est donc avec grande justesse que Meirelles aborde aussi bien le thème de la morale, de notre civilisation, de la spiritualité, de manière tantôt philosophique tantôt de façon plus brutale, mais jamais maladroitement. Tout ici est bien amené à ce que le spectateur se laisse entraîner dans la poétique du réalisateur.

Au final, on pourra reprocher à Fernando Meirelles de n'avoir pas suffisamment joué sur la cécité de ses personnages, trop absorbés par leur survie. Privés d'un sens, la présence de Julianne Moore sert à moitié de béquille et empêche la leçon d'être d'autant plus cinglante qu'elle aurait été sans issue.
De plus, la fin, bouffée d'oxygène après une montée de violence morale et physique durant presque 2H, n'arrive pas à point nommé dans la mesure où un "happy end" atténue également le message du réalisateur, dont le scénario est à ce propos tiré d'un livre de José Saramago, L'Aveuglement, dont les droits furent très difficiles à obtenir tant l'auteur ne voulait pas les remettre à n'importe qui.

En bref : Fernando Meirelles signe un nouveau grand film après The Constant Gardener, trois ans plus tôt. L'homme et ses démons intérieurs sont ici mis à nus de manière étonnamment juste, et l'horreur de l'éclatement de la morale laisse présager qu'il n'y a pas plus aveugle que les bien-voyants. Un très bon film, à voir absolument, amenant à réfléchir tout en divertissant.

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le 12 déc. 2013

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Kelemvor

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