Une tonne de sentiments conflictuels se mélange quand on découvre le biopic de son groupe favori (hé ouais), et Bohemian Rhapsody tend à vrai dire le bâton pour se faire battre. Réalisé à 90 % par un Bryan Singer qui a perdu depuis longtemps toute once de style, le film adopte jusqu'au ridicule tous les clichés et passages attendus d'un biopic musical, certes chargé en tubes et en vibrantes reconstitutions de concerts maousse, mais dont le manque d'aspérités contredit la dimension excentrique d'un groupe inclassable.


Les membres de Queen, Freddie Mercury le premier, semblent concevoir leurs tubes comme on pose un joint, mécaniquement et sans effort, la vie est un monde parfait où tout tombe à point nommé pour connaître le succès, où tout le monde se lance des "tu es génial" ou "on est des légendes" comme s'ils étaient les narrateurs de leur propre existence artistique. Mercury, déifié par ses anciens camarades et son manager devenus producteurs du film, n'existe que par et pour le succès du groupe : son passé, sa famille, sa personnalité complexe, ses amours surtout, sont bien abordés mais jamais en profondeur, et avec un manque parfois cruel de clairvoyance.


Le choix de faire de sa femme Mary le centre de sa vie sentimentale, et de son homosexualité la source de tous ses maux (la maladie, la solitude et même - ce qui est totalement faux - la rupture du groupe), est une erreur de jugement pure et simple. Bohemian Rhapsody sous-entend entre deux montages musicaux se bornant à répliquer les vidéos et clips du groupe que le style de vie du chanteur était une malédiction, une tragédie en construction, une tare. Alors qu'il suffit de voir une interview de Mercury à l'époque pour savoir qu'il puisait aussi dans cette vie de rock star débauchée une part de son inspiration, de son lyrisme échevelé, de ce qui faisait en fait sa richesse.


Gentillet, Bohemian Rhapsody se révèle aussi peu à cheval sur la chronologie ou la vérité. Le sida est arrivé dans la vie de Mercury bien après le Live Aid, il n'est pas le seul à avoir tenté l'aventure solo, il n'a jamais fait son coming out, le groupe ne s'est jamais séparé, et Mercury connaissait May et Taylor bien avant qu'ils ne perdent leur premier chanteur. Ce n'est qu'un film, certes mais pourquoi vouloir raconter la vie d'un groupe, si c'est pour défigurer la réalité des événements, s'en tenir à une version juke-box de leur carrière et faire la morale au seul membre du groupe qui n'est plus là pour réagir ?


Heureusement, Bohemian Rhapsody brille par certains aspects qui l'empêchent d'être un complet ratage : Malek est très bon (mais un peu chétif) dans le rôle, tout comme Lucy Boynton et le sosie de Brian May (c'est un clone, c'est pas possible !), certaines séquences trop courtes montrent bien le génie et l'avant-gardisme du groupe au travail… Et puis bien sûr, la musique de Queen emporte tout sur son passage dès qu'elle retentit dans une salle de cinéma. C'est aussi pour ça qu'on est là, non ?

Lakahand
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le 28 mars 2019

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Born To Watch

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