Breath
6.7
Breath

Film de Simon Baker (2017)

Festival de Cannes édition 2015, l’interprète de Patrick Jane dans la série à succès Mentalist, expose timidement son projet actuel. 2 min 30 d’interview encadrent l’essentiel : dans le milieu des années 1970, deux adolescents se lient d’amitié avec un mystérieux surfeur. Trois ans, dont un de recherche pour le casting et huit semaines de préparation, sont nécessaires à mener à bien ce premier long-métrage de l’acteur australien.


Non sans crainte, Simon Baker a depuis toujours dès son arrivée sur un plateau de tournage, songé à un autre désir, celui de guider derrière l’objectif de la caméra.


Pour quelques rôles futurs encore, retraçons la carrière de l’homme à la personnalité (trop) modeste. Sa beauté juvénile figure à l’arrière-plan dans des clips vidéo, à l’époque sous le nom de Simon Baker Denny. Sportif et rêveur plus que compétiteur, il choisit la voie du jeu d’acteur et rencontre son épouse sur les plateaux de tournage. Les séries cultes de la décennie, E-Street et Hartley, cœurs à vif, lui prodiguent un début de notoriété à la télévision australienne. Seulement, le choix de carrière est limité. Il part aux États-Unis tenter sa chance. Sa véritable entrée dans le monde du 7e art se mesure à un rôle, court, aux côtés de pointures (Kevin Spacey et Russell Crowe) dans le film policier encensé par la critique, L.A. Confidential. Sous la direction d’Ang Lee en 1999, il rejoint Tobey Maguire (Chevauchée avec le diable). Multiple diffusé en France, Le Diable s’habille en Prada le déshabille torse nu dans une chambre d’hôtel avec Anne Hathaway. Le charme du séduisant trentenaire passé, connait son premier succès durant 3 saisons dans Le Protecteur. Cependant, il faut attendre Mentalist pour que Simon Baker soit l’un des acteurs de séries TV les plus sollicités et les mieux payés. Voix reconnaissable entre toutes, son doubleur français Thierry Ragueneau poursuit l’aventure avec lui. Excellent dans The Killer Inside Me et Margin Call (nominé aux Oscars), second ne veut pas dire éternel dernier, sans oublier le court-métrage hitchcockien sous la direction de Scorsese (La Clé de la réserve). Le blond aux yeux bleus et à la chevelure jalousement parfaite, transcende l’écran de son charisme animal ravageur.


Égérie de marques reconnues, le public et les médias s’emparent de sa fausse assurance comme arme de séduction massive. Plus sur la réserve qu’extraverti, la sensibilité l’anime et le naturel cristallisent son humilité. Le très récent Here and Now* sorti en 2018, première œuvre cinématographique d’un cinéaste français, le manifeste présent sans ne plus vraiment l’être. L’ambition nourrie de son parcours est ailleurs.


Septembre 2017, l’adaptation du roman Breath de Tim Winton est présentée pour sa grande première, au Festival international du film de Toronto et la même année au Festival du film de Zurich. Primé de l’Age Book of the Year et du Miles Franklin Award en 2008, le plus important prix de littérature en Australie, la vision de l’auteur profondément honnête sur l’adolescence en métamorphose de son identité, épouse celle de Simon Baker, authentique surfeur. Au départ producteur, il s’est affirmé le plus à même d’aboutir la transposition à l’écran. Fruit de quelques années de réflexion, le tout nouveau réalisateur jouit de son travail minutieusement planifié et pour cause, l’histoire fait écho à sa propre jeunesse.


Ne surtout pas faire un film hollywoodien est le maître mot. La société indépendante Embankment facilite sa production et sa distribution en 2017, au moment de leurs 5 ans d’existence. Tourné sur la côte ouest d’Australie (Denmark, Albany), l’équipe s’entoure de soutiens financiers locaux, également soucieux de l’environnement.


Passionné par la photographie, Simon Baker use de ses connaissances et collabore avec un certain Marden Dean et de Rick Rifici pour la photographie sous-marine, dont il obtient l’award au Film Critics Circle of Australia 2018. Rarement nous nous sentons projetés à la période retranscrite souhaitée. Image soignée, lumineuse et douce s’accorde avec la nature terrestre (forêt, sentiers, humidité) et le contraste bleu intense calme et sauvage des océans. L’été frais sur la côte, réunit le solitaire et enfant unique Pikelet (Samson Coulter), Loonie (Ben Spence) et Sando (Simon Baker).


La simplicité illusoire de la mise en scène ouvre le film sur les deux adolescents, à se provoquer l’un l’autre pour sortir de l’ennui, de la solitude et du silence. Sur fond musical du compositeur Harry Gregson-Williams, la voix off de Pikelet est notre point de repère dans ses souvenirs.


Nous suivons sans réel coup de théâtre, le récit fluide initiatique du personnage évolutif central : Pikelet. Poétiques et bouleversants de sincérité, l’acteur amateur et son partenaire Ben Spence sont d’une justesse incroyable. Le sous-thème de la maltraitance infantile (Loonie) s’insère subtilement au drame de la vie et démontre pour eux deux la fin de l’insouciance.


Breath rappelle A Swedish Love Story (1970) de Roy Andersson. Les années 70 sont l’amorce d’une nouvelle décennie, remplie de contradictions dans une société conservatrice ancrée dans la hiérarchie familiale. La prise de liberté est plus indépendante et incertaine d’avenir mais salvatrice à la découverte de sentiments et de soi. Le couple Annika et Pär reflètent celui de Pikelet et Loonie. Le réalisateur suédois et le réalisateur australien s’harmonisent à 50 ans d’écart ! Le documentaire The Endless Summer (1966) rapportait au public la tendance de cette discipline, nouvelle, divertissante et sportive : le surf. Ne faire qu’un avec son corps, se connecter à l’océan, sentir la force de l’eau, les soulever. Sando devient alors un mentor pour ces deux jeunes, à préparer le terrain pour surfer dans les meilleures conditions possibles en s’approchant au plus près du danger sans se faire submerger par l’immensité des vagues. La passion les dévore ensemble et les sépare progressivement. La colère parfois excessive et l’inconscience de Loonie motivent sa soif de liberté tandis que Pikelet paralysé par la peur, la trouvera dans les bras d’Eva (épouse meurtrie de Sando interprétée par Elizabeth Debicki) et le retour à ses racines. Le seul morceau non original du film « The Chain » de Fleetwood Mac, enveloppe l’union charnelle des deux amants et les allers-retours du jeune garçon en vélo pour la retrouver. Magnétique. Il n'est pas sans rappeler l'ouverture de Deep End (1970) et de Michael pédalant sur son vélo. Dans un ultime acte irréfléchi, Pikelet s’offre à l’océan par un plongeon symbolique et renait d’un souffle, en lien direct avec le titre du film. À ce moment précis, Breath se révèle être un grand film et Samson Coulter le Tye Sheridan de Mud (2013), découverte fracassante. Réalité fâcheuse néanmoins, vous ne verrez pas l’immanquable compte tenu d’aucune distribution française.


L’été touche à sa fin, la dernière demi-heure d’un rythme plus soutenu expose frontalement le destin tragique du fonceur Loonie et du jeune Pikelet devenu adulte, grandi de son expérience passée et serein de l’avenir.


Première réalisation de Simon Baker, récompensée par l’award du meilleur acteur dans un second rôle et plus de 7 nominations par l’Australian Academy of Cinema and Television Arts (AACTA) et la prestigieuse récompense du meilleur réalisateur par l’Australian Directors Guild Awards. Le montage, la photographie, la bande-son originale et le son ont reçu de multiples prix dans de nombreux festivals. De longs mois d’attente pour se le procurer enfin en physique depuis sa sortie (dvd par import et pas forcément d’une édition originale), à défaut de le voir en salle. A noter sa venue au Festival international du film de Marrakech en 2019 mettant notamment à l’honneur le cinéma australien. Simon Baker se confie lors de cet événement dans une nouvelle rubrique Canal+, diffusée en janvier 2020, intitulée “Une rencontre et…”.


Breath, touche par la pudeur de son cinéaste. Lui-même n'apparaît que de dos ou de profil et par le mouvement latéral gauche de la caméra, nous le découvrons de son premier échange avec Pikelet et Loonie. Brûlant de véracité, Simon Baker en gros plan (48e minute) témoigne de son réel tempérament sensible mêlé à celui de son personnage. La valeur de plan large ou rapprochée prouve son attachement aux éléments et à ses protagonistes sans jamais les enfermer. Casting de choix (Elizabeth Debicki, Richard Roxburgh) et d’inconnus (Samson Coulter, Ben Spence), ils ne sont plus que des anonymes magnifiés par leur âme blessée et confuse (séquelles physiques et psychologiques).


À presque 50 ans, il confesse lors d’une interview backstage, que les scènes les plus difficiles de surf sont tournées par sa doublure. Les ridules aux coins de ses yeux tombants accentuent le passage du temps. La nostalgie du passé accable un instant quand désormais son premier (grand) film achevé, il se livre à une nouvelle idée : Une famille bourgeoise possède un château sans ne plus avoir les moyens pour l’entretenir. Le talent d’acteur trop peu poussé à son paroxysme s’intervertit avec celui de réalisateur. Vivant semi-caché de la Californie à sa terre natale en Australie, Simon Baker démarre une nouvelle carrière au-delà du simple débutant, qui espérons lui donnera pleinement satisfaction et les honneurs de la profession.


Nous pourrons le retrouver en attendant acteur dans le film australien High Ground, réalisé par Stephen Johnson, dont la sortie nationale est prévue en juillet 2020. Restez à l’affût si vous voulez découvrir d’autres pépites étrangères qui ne trouvent pas toujours preneur en Europe et en France !


*Critique de Here and Now (https://www.senscritique.com/film/Here_and_Now/critique/176146584)
7th AACTA Awards | AACTA Trailblazer Award
(https://www.youtube.com/watch?v=SQ69g2BB7Mc)

Créée

le 13 sept. 2019

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Pauline S.

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Breath
tito74
9

L'australie et pas celle qui claque

Magnifique histoire très australienne, authentique et très sensible. Belles images et deux jeunes acteurs qui nous font croire en leur personnage. Très beau, poétique.

le 1 mai 2019

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