La défaite de la paix, de l'intelligence et de la raison - prions pour le salut de leurs âmes

Bien que son contenu soit moins enflammé que la moyenne, c'est seulement une nouvelle contribution à la dénonciation de la « post-vérité » à l'heure où les médias du XXe perdent leur crédibilité et où les peuples occidentaux s'agacent. Le seul point via lequel ce téléfilm sème le doute est sa manière de présenter le protagoniste du Yes au Brexit, Dominic Cummings. C'est bien une espèce de gourou miteux d'un nouveau marketing, mais sous les traits de Benedict Cumberbatch (tête d'affiche dans Imitation Game et la série Sherlock) il paraît plus sympathique et potentiellement plus estimable qu'il ne semble l'être réellement ; moins evil genius qu'abusé par son propre malin génie.


Politiquement c'est un cynique. Les professionnels et leur système lui paraissent plus débiles que jamais et un référendum serait par principe une idée de merde. Au lieu de se souiller à aborder l'immigration, il laisse Farage et les autres clowns reproduire leurs numéros. Les électorats acquis d'avance se remobiliseront avec ou sans la piqûre de rappel de l'UKIP (les « indépendants machos » dans le film) et des croûtons conservateurs plombant la cause depuis l'époque de John Major. Lui se sert des algorithmes et reste à distance des débats et acteurs traditionnels, à l'exception de « deux stars » intéressantes à recruter – pour leur poids ou leur charisme, pas pour ce qu'elles profèrent (Michael Gove ministre de la Justice, Boris Johnson maire de Londres aux happening fameux). Au lieu de développer une sainte vision très-zintelligente à même de parler à zelles-et-ceux bien rangés et bien pourvus, Cummings l'excentrique martèle un message : 'reprendre le contrôle' (ou le pouvoir) - donc en laissant supposer qu' 'on' l'ait déjà eu. De quoi séduire chez les sceptiques et les déclassés.


La séance sera pleine de trucs bien plus basiques présentés avec pesanteur et soulignés comme s'ils étaient visionnaires – le comble étant de relever que le tiers indécis est la clé : quelle trouvaille ! Tout à sa pédagogie régressive, le film tâche de nous vendre (montage parallèle à l'appui) que la campagne conventionnelle avec les 'Remain' s'adressait à la raison, tandis que Cummings et ses acolytes misaient sur les espoirs et émotions ! L'ex-collègue de Cummings et principal visage des propagandistes du Remain dans le film a le beau rôle ; on le verra consterné par les aberrations d'en face, déplorant l'égalité des temps de parole mettant 'nos' « Prix Nobel » au même niveau que leurs imbéciles et leurs « perroquets ». Le malheur des pro-Brexit ? Le même que celui des pro-Hillary et de tous les pseudo-libéraux arrimés aux culs des gouvernants. Ils sont trop clairs, instruits, responsables. Une vérité bien complexe et sophistiquée (ou une raison de plus d'inciter les foules et leurs membres à la circonspection, l'indifférence ou l'aigreur envers leurs élites en pratique – aimant à se voir en simples lumières 'intellectuelles').


Par sa pratique ce téléfilm s'aligne sur la mode actuelle : dire un peu tout et n'importe quoi sans jamais aller loin (comme l'assommant Peuple et son roi), insérer des faits (et des archives) sans trop les forcer dans sa direction, mais n'étayer de façon solide que dans le sens de sa thèse ou préférence. Les gens ont l'impression de voir un produit 'complexe', ils en trouvent un parfaitement dans la zone de confort pour l'ensemble des journaleux, des anti-complotistes et des socialement centristes. Si l'on vient pour y apprendre ou trouver une perspective neuve ou enrichie, c'est sans surprise du temps perdu ; un film inutile où on accorde aux pro-Brexit d'être des manipulés ou comme Cummings des auto-illusionnés de bonne volonté (souhaitant secouer un Occident décadent). Il ne change rien aux points de vue qu'on peut avoir sur le sujet et nous conforte si on est mou ou anti-Brexit. Comme l'ensemble des autres voies qui se font entendre à la télé/radio (en-dehors des minutes accordées aux représentants anti-establishment, les primates et les showman étant évidemment les invités privilégiés), il accroche les graves maux du moment aux populistes, à l'extrême-droite, bref au repoussoir de service (qui n'est même pas aux antipodes des 'installés' qui l'utilisent – en Angleterre comme en France ou aux Allemagne c'est plutôt une fraction aventurière ou crasseuse des nantis et arrivistes qui prend à son compte la part de mauvaise conscience nationale). Ah que la politique est pourrie par les hacker, les démagogues, les messages simplistes et l'émotion ; mais c'est bien l'affaire des autres qui nous y entraînent !


Avec ce film le déni se poursuit. Sans nier carrément les réalités menant au vote Brexit, quoiqu'elles soient essentiellement subjectives (ou justement qu'on ne voit que ce qu'elles ont de tel – comme si les manifestations gênantes des gueux étaient la source du mal), le film entretient l'idée qu'il n'aurait pas eu lieu sans ce détournement de la 'data'. C'est peut-être vrai mais ne fait qu'en rajouter dans la psychose aux 'fake news'. Dans une certaine mesure le représentant du Remain peut concevoir une source plus ancienne, mais il l'attribue encore à la communication politique. Depuis une vingtaine d'années on aurait nourri la haine et le ressentiment, jouant avec une fièvre populiste devenue incontrôlable ! Pour autant le réel n'est pas absent de cette fiction, ni ses aspects fâcheux. Quand Cummings se demande pourquoi son équipe tarde à devenir la cible des pro-Remain et des journalistes, l'expert technique lui répond que les citadins n'étant pas leur cible, ils ne voient pas leurs publicités. Cette anecdote cruciale renvoie aux propos de Christophe Guilluy sur la France invisible. On a également conscience que les pauvres sont indifférents aux menaces de crise économique puisqu'ils sont déjà à sec ; de façon plus incertaine, que l'absence de perspectives est au moins aussi grave que le chômage dans les zones sinistrées ; puis bien entendu, que la masse des électeurs pro-Brexit est composée de vieux pas spécialement vernis, d'ouvriers, de paumés et de losers à mi-vie.


Ce qui est vraiment intéressant avec un tel film, c'est tout ce dont il ne parle pas ; tous les arguments laissés de côté ; tout ce sur quoi il met l'emphase, à partir de quoi il opère ses grandes pseudo-déductions (« c'est plus la droite contre la gauche, c'est le vieux monde contre le nouveau » : voilà l'habillage niaiseux qu'on aurait pu ressortir à chaque époque, bon à relativiser les orientations enfilées). Il n'est question qu'à une reprise de l'Union Européenne (quand Douglas interrompt une réunion consommateurs), le reste du monde et de la (géo)politique est absent, l'Histoire inexistante sinon pour des bribes à quelques décennies. Pour maintenir la foi dans les institutions, l'illusion de la transparence voire l'illusion démocratique, on s'acharne sur un bout de ce qui met en cause sa pureté (alors que le résultat de ce référendum plaide plutôt en faveur de la démocratie puisque pour une fois il n'est pas prescrit ou du moins chamboule le paysage). On attaque ce qui passe pour irrégularité ou déloyauté (la participation de Robert Mercer, soutien milliardaire aux campagnes du Leave et de Trump) en omettant, probablement par instinct, les équivalents pachydermiques dont les seuls avantages sont de pas être soit-disant nés d'hier – ou alors ce Robert Mercer est un importun d'un nouveau genre puisqu'en deux siècles de démocratie, voire en plusieurs millénaires d'Histoire humaine, on a vu qu'occasionnellement de telles ingérences dans les gros dossiers de la vie publique ! Enfin il faut reconnaître à ce film de nous enseigner ou nous rappeler que nous sommes entrés dans l'ère du micro-ciblage avec les méfaits de Cambridge Analytica ; une période politiquement sombre où les masses seront flouées vient de s'ouvrir ! Il n'y avait probablement rien de tel avant – mais le monde d'hier doit rester obscur.


https://zogarok.wordpress.com/2019/03/22/brexit/

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le 22 mars 2019

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Zogarok

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