Sublimé par un Tom Hardy plus vrai que nature en sociopathe moustachu, Bronson est un exercice de style introspectif bougrement intéressant.
Prenant ses libertés avec la biographie réelle du “prisonnier le plus dangereux d’Angleterre” Refn choisit de nous présenter un personnage allégorique, dont beaucoup des pérégrinations rappellent celle du réalisateur lui-même (rêves de gloire/succès déçus et relation trouble à la création artistique notamment : rappelons que Refn, à cette époque, n’avait pas fini d’éponger de grosses dettes et devait, au lieu de ses projets rêvés, réaliser des commandes a priori sans intérêt pour lui, c’était sans doute là sa propre “prison”).
Or, justement, comme Bronson dans son milieu carcéral étouffant parvient à se jouer des contraintes pour s’exprimer (“Yeah...that’s a fucking piece of me !”) en mêlant anarchiquement violence et esthétisme dans ses “performances”, Refn transcende son “biopic de commande” en une oeuvre personnelle, presque intimiste, qui n’est pas sans présenter un certain intérêt poétique et philosophique.
Evidemment on peut voir bien des choses dans ce film. J’en retiens pour ma part une évocation grinçante de travers universels, que Bronson personnalise généreusement jusqu’à l’excès pour nous les fourrer sous le nez. Il nous oblige ainsi à nous contempler nous-mêmes dans toute notre suffisance.
En effet, le problème de Bronson n’est pas “externe”, il le dit d’ailleurs très bien, il a eu une famille aimante, une éducation correcte, son problème c’est sa nature violente, dans un premier temps, mais surtout son abandon total à cette facette de son être. C’est bien la seule qu’il entend cultiver et mettre en scène dans sa vie, demeurant intellectuellement et émotionnellement parfaitement immature.
“Où est mon lit Maman, où sont mes jouets ?” demande-t-il boudeur et attristé à sa sortie de prison hautement sécurisée. Il est d’ailleurs intégralement inadapté socialement parlant, ne comprenant rien aux affaires d’argent, à l’amour, et au reste. Partout dans la vie civile il a l’air benêt, d’ailleurs il emploie souvent des expressions toutes faites dont il n’a même pas l’air de comprendre la signification, le tout agrémenté d’un langage corporel parfaitement insensé.
Peut-être Bronson n’avait-il pas le choix, mais on peut aussi penser qu’il avait son libre arbitre, qu’il aurait pu résister à ses pulsions plutôt que chercher à vivre par et pour elles. La totale auto-aliénation du bonhomme va encore plus loin, car tout au long du film il va chercher à magnifier son comportement déviant pour le légitimer, le justifier, refusant tous les signaux humains et sociaux (le principe de réalité comme on dit) qui cherchent à l’en dissuader.
Autre travers de Bronson, le vide de sa vie le conduit à brûler d’un insensé désir de reconnaissance, alors qu’il n’a rien de fondamentalement intéressant à proposer. Qui ne s’est jamais coupablement imaginé dans une situation de triomphe et d’approbation sociale totale,en héros ou en star, comme Bronson dans son théâtre ? Il y a une différence de degré entre lui et nous, mais pas forcément de nature. Après tout, ce public mental, quel que soit le nom qu’on lui donne, c’est bien le seul que la plupart d’entre nous auront jamais, alors autant se consoler en sa compagnie, dans tout le ridicule que cela suppose.
Le directeur de prison est le pire ennemi de Bronson, non pas tant en raison des punitions et vexations qu’il lui inflige (du petit lait pour le moustachu) mais parce qu’il le rappelle froidement à la réalité (“Vous êtes ridicule”). Pour couper l’herbe sous le pied de cet effronté, Bronson va se consacrer à l’art, domaine subjectif et “injugeable” pour donner un tournant élitiste à son délire de star. Comme lui, on est rarement à court d’idées pour renouveler et repenser nos raisons de nous sentir spéciaux, fiers et légitimes.
Enfin et pour revenir sur la question du libre-arbitre, Bronson apprécie visiblement énormément la prison car la captivité lui évite d’avoir à affronter la complexité de la vie (c’est le seul endroit où paraît s’épanouir et rire, alors qu’à l’extérieur il va de désillusion en désillusion). Sacrifier sa liberté pour le confort et la tranquillité dans une certaine mesure, c’est une tentation à laquelle on succombe tous à un moment ou à un autre, pas forcément à tort d’ailleurs. On dit parfois que, dans la vie, l’essentiel c’est d’avoir les bonnes oeillères, ça n’est pas faux si on ne veut pas devenir fou à réaliser tout ce qu’on n’a pas pu, ne peut et ne pourra pas faire, mais jusqu’à s’enfermer entre quatre murs comme Bronson ?
Malgré sa puérilité, le Bronson de Refn peut ainsi prétendre à être un véritable coach de vie. La moustache rieuse, il nous invite à cogiter sur notre propre vanité, notre incapacité à nous discipliner, nos barrières mentales auto-imposées et peut-être, plus largement, nous convie t-il à nous re-pencher sur la nature humaine et la validité de ses moyens d’expression. Rien que ça !