Attendu comme le messie par les fans de Stephen King et d’horreur en général, Ça envahit maintenant les salles de cinéma du monde entier. Semant derrière lui l’enthousiasme du public et de la critique, qu’en-est-il vraiment de ce nouveau regard porté sur la petite ville de Derry, rongée par un mal étrange ?


The King is back


Le moins que l’on puisse dire, c’est que les adaptations de Stephen King au cinéma sont (très) nombreuses et de qualités (très) variables. Entre chef-d’oeuvre absolu (Shining) et navet infâme (Dreamcatcher), la roue a souvent tourné. Alors que l’on attendait désespérément quelque chose d’excitant à se mettre sous la dent depuis l’excellent The Mist (10 ans, déjà !), voilà qu’un nouveau projet d’adaptation de Ça, l’un des meilleurs romans du maître, pointe le bout de son nez. Mieux : le réalisateur annoncé à la tête du film n’est d’autre que Cary Fukunaga, à qui l’on doit le sublime Jane Eyre et l’incroyable première saison de True Detective. Mais le bonhomme se retire malheureusement vite du projet suite à des différents créatifs avec le studio. C’est le réalisateur Andy Muschietti qui prendra le relais, encore dans le besoin de faire ses preuves après un premier film peu mémorable : Mama. Le pire pouvait donc être à craindre , même si, il est vrai, les incroyables trailers et l’énorme succès du film au box-office américain (le plus gros week-end de démarrage de l’histoire du cinéma pour un film d’horreur) ont fait monter la hype comme jamais.


Et, après visionnage de la bête, on peut dire que l’attente en valait la chandelle. L’immense mérite de Warner Bros et Andy Muschietti étant de parvenir à redonner ses lettres de noblesses à un cinéma d’horreur dit « grand public », enlisé dans une médiocrité créative depuis un bon moment. Comme Stranger Things juste avant lui (les Duffer Brothers se sont d’ailleurs grandement inspirés du roman pour leur série et ont même un moment étés pressentis à la tête du projet), Ça parvient divinement bien à capter cette ambiance des films de gosses des années 80 chers à nos cœurs et évoque autant Stand By Me (autre histoire de King superbement portée à l’écran) par son intensité émotionnelle que Les Goonies par ses touches d’humour toujours bienvenues. Le réalisateur parvient à créer le mariage presque parfait entre la chronique adolescente tragi-comique et l’horreur la plus sombre. Il livre de nombreuses séquences mémorables, dont la première apparition de Pennywise (Grippe-Sou en français), qui s’impose immédiatement comme un morceaux d’épouvante inoubliable et traumatisante. Ça aborde l’horreur de façon frontale et n’hésite pas à sortir le spectateur de sa zone de confort en faisant subir à ses protagonistes principaux, qui plus est des enfants, les pires atrocités. Et pas question ici de désamorcer la tension avec un cynisme mal venu ou un humour inapproprié, comme c’est malheureusement souvent le cas dans le cinéma de genre actuel. L’humour est par ailleur bel et bien présent mais n’entache jamais le ton du film et sert même un peu plus à nourrir notre empathie pour les personnages, tous très réussis.


Émancipation


Les fans du roman auront un plaisir immense à retrouver ces jeunes adolescents aux personnalités bien trempées formant l’inoubliable « Club des Losers ». Losers aux yeux de la société (tous ont une caractéristique les positionnant comme des êtres faibles : obésité, asthme, bégaiement…), mais véritable héros à nos yeux. La bande de jeunes comédiens opère un incroyable travail d’acteur et offre à ces personnages toute l’empathie nécessaire à l’implication émotionnelle du spectateur. Le danger est toujours palpable et l’on se sent faire partie de ce groupe de joyeux « nerds ». Seuls face à l’inertie du monde extérieur pour lutter contre une force démoniaque mortelle, ces bambins devront parvenir à affronter leurs taumas et à accepter leur part d’ombre s’ils veulent sortir indemne de la malédiction de Derry. Puisqu’ici, les adultes ne sont finalement que des figures fantomatiques malveillantes, points d’ancrage des terreurs intérieures des enfants. Ces peurs enfouies, comme dans le roman, se posent en effet comme la fatale réponse aux regards que la société porte sur eux et aux comportements abjectes que les adultes, ces êtres frustrés, adoptent à leur égard.


Ce qu’il faut savoir, c’est que le clown Pennywise est une sorte de matérialisation physique de nos peurs les plus profondes. Il se nourrit celles-ci pour nous atteindre et sait prendre la forme de ce que l’on redoute le plus. Ainsi, il n’est pas étonnant que le jeune Eddy, accablé de toute les maladies du monde par sa mère, voit apparaître un SDF lépreux purulent au haut potentiel contagieux. Quant à Berverly Marsh, seule fille du groupe, en pleine découverte de son corps et expérimentant ses première règles, elle est maintenue dans une peur terrible par un père violent et pervers. Elle verra ainsi surgir des égouts un immense torrent de sang épais, symbole organique de son calvaire quotidien. Même Henry Bowers, la brute du lycée, ne fera que reproduire sur les autres l’humiliation que son père lui fait subir. C’est donc en tenant enfin tête à leurs parents que ces êtres en quête d’eux-même feront le premier pas vers la rédemption et la libération de l’enchaînement moral de la société. Ici, la vraie horreur se trouve dans la vie de tous les jours et c’est en passant par l’acceptation de ses peurs et en entreprenant une rébellion face aux injustices du monde que l’on grandit, Pennywise n’étant en fin de compte que le reflet exacerbé d’une société adulte omnipotente et castratrice.


Cependant, si Ça reste globalement un divertissement horrifique de haute volée, tout n’est pas parfait. Certains traumatismes des personnages se trouvent être beaucoup moins pertinents que d’autres (le tableau de Stan Uris) et le film se montre parfois bien trop scolaire dans sa manière de transposer le roman de King à l’écran, adoptant ainsi un rythme un peu mécanique et expéditif durant sa première partie. Observer chaque enfant vivre son expérience traumatisante avec Pennywise devient en effet vite redondant et rend les apparitions du clown trop prévisibles pour être véritablement effrayantes. De plus, l’utilisation massive de jump scares et autres tics agaçants symptomatiques de l’horreur moderne gâche le véritable potentiel subversif du film, qui aurait bénéficié à emprunter des voix narratives un peu plus subtiles pour transmettre l’angoisse et la peur. Mais, d’un autre côté, cet aspect « tour de train fantôme » colle forcément assez bien avec le personnage de Pennywise et la volonté du réalisateur à verser dans une horreur très graphique donne lieu à quelques scènes de terreur assez mémorables (la salle de bain). Quant à la terrifiante prestation de Bill Skarsgard en Pennywise, aidée par un superbe maquillage et quelques CGI discrets et convaincants, elle parviendra sans mal à marquer les esprits et à rendre nos nuits délicieusement cauchemardesques.


Film sur l’innocence perdue, l’amour et le courage, Ça nous dit que la peur est l’un des constituants même de ce qui fait que nous sommes humains. Andy Muschietti distille une délicieuse poésie macabre tout au long de son récit et évoque ainsi souvent le travail de son mentor Guillermo Del Toro (qui avait produit son premier film). Le cinéaste capte parfaitement l’essence du roman de King et le choix intelligent de ne garder à l’écran que la partie « enfance » du livre (pour ensuite se concentrer sur la vie adulte des personnages lors d’un second film) empêche le long métrage de s’empêtrer dans une narration casse-gueule et lui offre une instantanéité percutante. Au vu de son succès, Ça pourrait bien prouver aux studios qu’une production « rated R » peut aussi trouver son public à grande échelle. Il est donc excitant et encourageant de se dire que Ça pourrait devenir le premier rouage d’un nouveau cycle de cinéma horrifique populaire et de qualité. On ne pourrait en être plus heureux.


Critique originale : https://www.watchingthescream.com/were-all-mad-here-critique-de-ca/

Créée

le 17 sept. 2017

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Aurélien Z

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