L'année de mes neuf ou dix ans. Un coup d’œil dans le programme télé de mes parents. Et là, sur la grille du soir, à la sixième chaîne, un téléfilm sobrement intitulé "Il" est revenu, accompagné d'une photo d'un clown au sourire narquois. Entre fascination et coulrophobie refoulée, je me languissais de poser les yeux dessus. Hélas, à l'époque la politique parentale était stricte à la maison : s'il y a un triangle orange ou un carré rouge, au lit ! Fichtre...
Ce n'est qu'un ou deux ans plus tard que je pu enfin assouvir ma curiosité. Mes yeux de jeunôt furent comblés et mon cœur rata quelques battements. Cette histoire d'entité maléfique made in Stephen (the) King, se matérialisant sous la forme d'un clown pour terroriser et tuer de manière cyclique dans cette petite ville du Maine ; et le triomphe de ces sept personnages, ratés devenus nantis, face à un Tim Curry haut en couleurs tout en maquillage et en sourire de Chat du Cheshire démoniaque... un pur bonheur, de purs frissons. Nostalgie à en reparler en ce moment..


Mais je ne voulais pas m'arrêter en si bon chemin. Un peu coupable d'aduler Stephen King sans avoir connu au préalable la version papier de Ça, je me mis en quête de me procurer les quelques 1 400 pages réparties sur deux tomes. Et là, un détail me frappa : celui qui me fit réaliser à quel point le bouquin était gore et truffé de sujets tabous (l'hémoglobine des meurtres perpétrés par cette entité, les abus sexuels ou physiques subis par certains personnages), et que lesdits sujets avaient bien été édulcorés pour le format TV, si ce n'était pas purement et simplement supprimés...
Bon joueur, je m'en tenais à l'époque à ces deux constats : Ça, le téléfilm était très plaisant à voir ; Ça le livre était un régal de lecture horrifique. Et le temps fit naître un rêve certes fou mais non impossible : voir une nouvelle adaptation de pellicules qui collerait davantage à l'aspect grand public du roman.


Plus d'une décennie plus tard, et après maintes réécritures et plusieurs changements de réalisateurs, ce rêve (ou cauchemar rêvé, plutôt) s'est enfin réalisé. Entrer dans cette salle de ciné n'a pas été sans craintes, et ce en dépit des bons retours dont le film d'Andrés Muschietti avait déjà fait l'objet. Allais-je avoir peur ? Bill Skarsgård pouvait-il délivrer une performance digne de ce nom dans le rôle de ce boogeyman des boogeymen qu'est Grippe-Sou le Clown cabriolant, sans chercher à copier le travail de Tim Curry ? L'idée de présenter la période "enfant" des héros sur un film de deux heures ne risquait-elle pas de lasser le spectateur ?


Au fil du visionnage, la plupart de mes craintes se sont heureusement dissipées ; et ce en dépit d'une légère longueur sur le premier quart. L'intrigue du roman (de sa première partie, du moins) se passait dans les années 50, l'action du film est centrée sur l'enfance de la fin des eighties. Aucun reproche sur ce changement, la transition est réussie. Une autre modification se constate pour cette version de 2017 : les différences relatives aux formes de matérialisation de l'entité. Ça mange, mais Ça ne mange qu'à condition que Ça prenne physiquement forme. Pour cela, Ça utilise les peurs les plus primales de notre subconscient pour se matérialiser en ces dernières, et nous dévorer. L'occasion de donner à Stephen King (et à Muschietti) un choix vaste de variations sur le thème du monstre à un niveau de lecture ou un autre, littéraire comme cinématographique. C'est pour cela qu'il est plus facile pour ce démon de s'en prendre à des enfants, encore facilement impressionnables.


Car si un thème abordé dans le livre est ici judicieusement retranscrit, c'est bien celui de "l'enfance sacrifiée" consécutif au passage à l'âge adulte et à la perte de l’innocence qui en découle. La scène de la chute du bateau en papier dans l’égout avec le jeune frère de Bill Denbrough au tout début est sans appel : des enfants disparaissent ; certains meurent, souvent de la plus horrible façon. Et, entre un père abusif pour l'une ou encore une mère atteinte du syndrome de Münchhausen par procuration pour un autre, ce ne sont pas les adultes qui pourront (ou voudront ?) les protéger. Ça enchaîne à cette fin les effets de style, avec un rythme toujours maîtrisé et sans jamais tomber dans la surenchère. Le sinistre de la photographie de certains plans et l'angoisse latente distillée par la bande sonore aident d'ailleurs beaucoup (en trahissant toutefois à une ou deux reprises ce qui aurait pu être un bon jump scare, la faute à une musique un poil prématurée. Mais passons..). Le fan que je suis pestera toutefois sur une fin un chouia différente du premier tome du roman, mais rattrapée par les nombreux clins d’œil aux autres œuvres de Stephen King disséminées ça et là, au détour de logos de t-shirts ou d'une construction Lego (on t'a reconnu, Maturin !)


Autre atout de cette version de 2017 : le casting. Quasi irréprochable dans son intégralité, qu'il s'agisse de la bande des Ratés (Sophia Lillis en Beverly Marsh, le même air ingénu qui a fait naître en mon petit cœur de spectateur une admiration semblable à celle que j'ai eu à l'égard d'une toute jeune Natalie Portman à l'époque de Léon) comme des autres personnages, adultes ou antagonistes. A ce titre, Bill Skarsgård nous livre un Grippe-Sou inédit, et transcendant ; une relecture judicieuse adapté au public de maintenant. Là où Tim Curry campait un clown faussement sympathique et capable sans prévenir de sortir des crocs et de briller d'yeux diaboliques, son successeur choisit la voie du malsain permanent, suintant, menaçant, repoussant ainsi nos limites de la phobie des clowns jusque dans leurs derniers retranchements. Ça fond toujours sans prévenir, et le temps de réaliser il est déjà trop tard pour entendre un ricanement de clown ou un ballon qui éclate...


Ça vaut-il le coup ? Assurément. Est-ce le meilleur de Stephen King au cinéma ? Non, bien sûr. Des indétrônables comme La Ligne Verte ou Les Évadés resteront meilleurs. Certains reprocherons peut-être au film son manque d’originalité, voire sa capacité trop facile à taper davantage dans la nostalgie des lecteurs du roman de 1986 ou des spectateurs du téléfilm de Tommy Lee Wallace. Pour autant, cette relecture se savoure de bout en bout, dans le noir, tout seul, en repensant à nos terreurs infantiles et à ce qui pourrait arriver si par une force maléfique elles venaient à nous rattraper.


Même constat pour la suite d'ores et déjà programmée ?


A suivre, si Ça n'est pas mort...

ZolivAnyOne
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le 20 sept. 2017

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Zoliv AnyOne

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