Grand coulrophobe devant l'éternel (une phobie que je ne dois absolument pas à l’œuvre dont il est question ici, que ce soit sa version livre ou téléfilm, j'ai pas besoin qu'ils soient cannibales pour haïr ces saloperies de clown...), j'ai forcément hésité un long moment avant de mater ce film : soit il était mauvais et j'allais perdre 2h de ma vie - une caractéristique un poil fréquente quand on mate des adaptations du king - soit il était bon et mon psychiatre allait encore m'engueuler en me faisant un whisky-coca au lexomil.


Et comme je suis un peu maso, j'ai quand même décidé de le voir.


Et je vais avoir conséquemment besoin d'un whisky-coca. Frappé, non flotté.



Les goonies vont au train fantôme



Dans la petite ville de Derry, les disparitions inquiétantes d'enfants se succèdent, au point que se rassemble le club des "loosers", mené par Bill Denbrough, hanté par la disparition de son petit frère, afin de percer le secret de ce clown maléfique qui semble les pourchasser.


Résumer "Ça" revenant à expliquer de quoi parle le seigneur des anneaux, je m'abstiendrais d'aller plus loin pour m'attarder sur le choix narratif que fait le film : quand le livre se construisait sur des flash-back imbriqués, en démarrant sur les "loosers" devenus adultes, le film adopte une trame linéraire en ne couvrant que leur enfance et leur première rencontre avec "ça". Si ça peut sembler moins audacieux, l'histoire y gagne en clarté (et y perd en délayage, un truc qui m'irrite particulièrement dans le bouquin) et se contente surtout de conserver les éléments centraux. Quoique le film soit déjà long - 2h pour un film d'horreur, ce n'est pas anodin - il ne donne à aucun moment une impression de longueur. L'histoire garde un rythme soutenu, sans temps morts mais sans oublier de prendre quelques respirations pour ne pas s'emballer.


Un petit bémol, quand même : la première partie du récit enchaîne les confrontations de chaque looser à Ça, donnant une allure de suite de scénettes, dont le liant n'est pas toujours nickel. Ça ne hache pas le rythme à proprement parler mais ça confère une impression de "checklist" qui fait perdre un peu en dynamisme. Rien d'affreux non plus, hein, dans la mesure où toutes ces confrontations se rejoignent au moment où ce parti-pris commence à atteindre ces limites.


Autre bémol sur la séquence "princesse en détresse" : quoique le cliché soit retourné - la princesse a été enlevée précisément car étant l'élément "fort" du groupe, c'est effacer que ce qui fait la force des ratés, c'est leur unité et qu'ils n'ont pas besoin de Mcguffin pour aller régler son compte à Pennywise. Et c'est un cliché lourdingue, même réinventé.


Bref sur le plan narratif et malgré quelques petites imperfections, le film assure : il n'ennuie jamais et parvient à conserver durant ses deux heures l'intensité requise pour son mécanisme central, celui de la peur.


Et pas n'importe laquelle.



Tu ne connais pas la peur ? On parie ?



Bon soyons clairs : je ne prétends pas que TOUT LE MONDE va avoir peur devant "Ça" - ce serait une affirmation particulièrement inepte, vu que la peur est comme un sous-vêtement : intime et directement collée à notre peau et à nos tripes. Ce qui terrifie votre voisin de siège ne vous fera pas forcément mouiller vos dessous (voyez, on y revient).


Dans le cas de "Ça", ma comparaison avec les goonies a pu vous faire sourire, elle n'était pas choisie au hasard : le film, c'est l'ogre sous le lit, le monstre dans le placard, le loup-garou dans la commode. C'est la cristallisation des terreurs enfantines, sous toutes leurs formes, qui sont le reflet de terreurs bien réelles (parents violents, peurs pour l'avenir...). Si on est toujours connecté à cette peur de la bestiole au milieu des moutons de poussière, alors le film fera indubitablement mouche, sinon, peu de chance qu'il fonctionne aussi bien qu'il devrait.


La réalisation est exemplaire : le réalisateur esthétise son film sans trop en faire, jouant sur les ombres et les couleurs et usant des décors avec ingéniosité pour raconter son histoire. Le film est léché sans paraître froid ou impersonnel. Il est visuellement très beau sans que cela n'étouffe son propos. Pas de jumpscare, pas de gore inutile : la présence du clown est insidieuse pour ne jaillir que lors de scènes fortes, disséminées avec soin. Ni trop, ni trop peu.


Là où je le trouve le film particulièrement bien dosé, c'est qu'il m'a arraché quelques hurlements (je suis coulrophobe, je le rappelle, je vous laisse donc imaginer ma réaction en voyant un clown tout crocs sortis se ruer vers la caméra). Mais il ne m'a pas laissé un traumatisme comme le font certains films d'horreur, qui touchent là où ça fait particulièrement mal. Dis comme ça, certains d'entre vous peuvent le percevoir comme un défaut mais je ne considère pas qu'un film d'horreur doit obligatoirement t'envoyer en thérapie pour être réussi. "Ça" a des allures de train fantôme deluxe qui délivre cette peur appétissante, celle qu'on a envie de ressentir, le frisson plaisant, celui qui reste malgré tout sous contrôle. Et de temps en temps, je ne suis pas contre revenir aux fondamentaux : jouer à se faire peur pour le simple plaisir d'avoir peur. Ce que le film réussit très bien à coups de scènes chocs, équilibrées par un humour en petites touches et des personnages efficaces qui déclenchent rapidement l'empathie. Et pour cause : ils sont servis outre par une narration et une écriture qui fonctionnent impeccablement, par un casting particulièrement investi.



Le club des cinq... pardon, des sept



Les gosses sont excellents. Tous jouent parfaitement et campent vraiment bien leurs personnages. Ils sont drôles, touchants, badass, tout ce qu'on attend d'un groupe de môme décidés à péter la gueule à une créature monstrueuse qui les terrifie et les dévore. On se marre bien devant leurs dialogues - à base de vannes et d'un certain fatalisme où pointe l'adolescence - et on croit vraiment à leurs personnages. Une petite réserve sur Bill, plus transparent que les autres - ce qui vient moins de son interprète que de l'écriture du personnage, ceci dit. Richie est vraiment fun, Beverly vole ses scènes avec son visage solaire et son jeu tout en nuances et le groupe fonctionne à la perfection. L'alchimie prend bien et encore une fois la comparaison avec les goonies n'est pas un hasard.


Le film se déroulant dans les années 1980, on échappe pas au syndrome "Stranger Things" mais heureusement, pas de fanservice putassier ici : juste un usage intelligent de l'atmosphère de l'époque qui résonne comme un écho dans le film sans empiéter sur son identité. La sauce prend bien.


Pas grand chose à dire sur les adultes - volontairement laissés en arrière-plan pour montrer à quel point l'influence de "Ça" laisse les enfants livrés à eux-même mais quid de la star du film ? Le clown ?


J'ai parlé un peu plus tôt de scènes chocs : les effets spéciaux y sont bien sûr pour beaucoup, ainsi que la réalisation, sans jamais devenir artificiels. Mais... c'est un peu là que réside pour moi le défaut du film. La présence de Bill Skarsgård. Ou plutôt sa non présence.


Et pour ça, je vais devoir parler du téléfilm.



"Il" est revenu (encore...)



Bon, balayons de suite la question : j'ai vu la série de 1990, la comparaison est inévitable, elle n'est pas à son avantage. Évidemment, puisque le téléfilm n'a clairement pas le même budget, souffre de son obligation "tout public" et accuse les années, ne gardant pour lui que la performance (assez habitée, il faut dire) de Tim Curry en clown monstrueux. Et c'est là que je ne peux m'empêcher de tiquer un peu sur le film de 2017.


Les scènes avec Bill Skarsgård sont terrifiantes, là où celles avec Curry sont plutôt comiques, pour peu qu'on ait plus de dix ans. Le téléfilm fait désespérément cheap là où le film soigne le moindre de ses environnements et les interprètes adultes sont totalement exécrables dans la version de 90 (à l'exception exceptionnelle de Curry, donc).


Pourtant... je ne peux m'empêcher de regretter une chose : que la peur de 2017 s'appuie sur la technique - effets spéciaux, réalisation et maquillage - et ne le fasse finalement jamais vraiment sur la performance d'acteur. Bill Skarsgård est un peu l'anti Tim Curry, qui ne pouvait compter que sur son jeu pour tirer la série vers le haut : en effet, secondé par la technique, le comédien suédois a finalement assez peu de place pour s'exprimer. Et je trouve ça dommage, un peu de marge de manœuvre aurait rendu son pennywise encore plus mémorable, là où je me souviens de CHAQUE intervention de Curry, bien qu'il soit beaucoup plus bouffonesque. Ce n'est pas un énorme défaut, ça ne plombe pas le film mais ça dépersonnalise un peu le clown et ça m'a vaguement gêné pendant le visionnage. Pour moi, cela fait rater au film le coche de l'excellence, et de très peu.


"Ça" 2017 n'a pas loupé son clown, il l'a simplement un poil trop pimpé en oubliant de lui conférer un peu de subtilité, qu'aurait insufflé le jeu de Bill Skarsgård. Pas gravissime mais suffisant pour être souligné et rappeler que le budget clinquant n'assure pas toujours la supériorité à tous les niveaux.



Un petit ballon, pour la route ?



Au final, ce "Ça" 2017 est un excellent film d'horreur, qui sait réutiliser les bases de la peur, celle de l'enfance, pour nous offrir un tour de maison hantée techniquement et artistiquement au top, servi par des acteurs impeccables et une volonté réelle de raconter la sempiternelle histoire de bien contre le mal avec un talent maîtrisé, malgré quelques petits couacs pardonnables.


Y'avait longtemps que j'avais pas kiffé avoir la trouille et ça fait paradoxalement du bien.

SubaruKondo
9
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le 29 oct. 2018

Critique lue 249 fois

SubaruKondo

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