Et ben voilà, je l'attendais, je le redoutais, après deux films passables sans plus ("Magic in the moonlight" et "Irrational man"), le pauvre Woody a désormais l'air complètement cuit, exsangue, éteint, sans inspiration, de plus en plus menacé par la roue libre.


Je spécule évidemment, mais on peut imaginer sans trop de difficultés qu'écrire et tourner un film par an, c'est un enjeu de survie personnelle, s'il arrête, il meurt... L'échec et mat de la grande faucheuse se rapproche à grands pas... Woody ne peut plus jouer devant la caméra, alors il fait dans la voix-off, mais ce qui est terrifiant c'est qu'on n'y entend pas sa voix habituelle, solaire, enfantine, ultra dynamique, mais celle du vieillard baveux qui n'arrive plus à articuler correctement et qui mâche la moitié de ses phrases. Bref ça commence à devenir gênant, même si vu son tempérament, il pourrait me donner tort et tenir encore une bonne vingtaine d'années à ce rythme en mode Manoel de "Rambo" Oliveira.


Le film fonctionne pendant la première demi-heure. La reconstitution délicieuse du hollywood des 30's, Steve Carrell en agent déchaîné, Eisenberg en agneau qui essaye de trouver sa place, Kristen Stewart et son petit copain mystère, la famille juive à New York façon "Radio days" qui spécule sur l'avenir de leur rejeton dans la cité des anges...


Et puis une des plus belles photos du monde. Storaro réalise des miracles et on a envie de se perdre dans chaque plan du film.


Et puis ça se casse la gueule à partir de la révélation du pot-aux-roses. On rentre dans un triangle amoureux comme toujours lourdingue.
Le couplet vu et revu et rerevu du "Je vais quitter ma femme/non je peux pas la quitter/si je vais la quitter", et Steve Carrell qui s'enlise dans l'insipidité après avoir été si brillant et survolté.
Les quiproquos qui ne font plus mouche et qui finissent par agacer tant ils durent artificiellement.
Les séquences "tranche de vie" qui sont excessivement mal balancées avec ce récit plus traditionnel et pépère qui s'accapare le film. Tout est déconnecté, on a même l'impression que Woody sort de son chapeau des déclinaisons de séquence déjà plus ou moins faites dans ses autres films, et qu'il en distille ici ou là en se foutant parfaitement de la logique narrative (entre autres exemples : que vient foutre la scène plutôt rigolote de la prostituée là-dedans ? On dirait un sketch perdu au pif au milieu du film). Multiplication des scènes qui n'ont aucune conséquence sur rien (par exemple ce moment où l'on prévient Eisenberg que son frère va avoir des problèmes, sauf si l'on vient à considèrer que cela pourrait éventuellement illustrer une "fatalité" à laquelle sont condamnés les personnages), dialogues redondants (TROIS scènes pour dire exactement la même chose avec le voisin assassiné), scènes filmées de façon redondante (les assassinats, les plans sur la chanteuse du night club), métaphysique copiée/collée en moins bien sur ses autres films, citation de Socrate...


Bref, jamais il ne m'a semblé voir Woody ronronner autant.
Mais là où le désastre est le plus flagrant, c'est le night club, puisqu'il s'y avère incapable d'y créer quoique ce soit, ni de lui donner vie.
Mise en scène totalement statique, avec des procédés ultra paresseux et tellement peu inspirés, on dirait parfois une repompe parodique ratée de Wes Anderson, avec une caméra qui s'arrête sur des personnages no-name pour leur donner un nom et raconter une anecdote personnelle sans intérêt en voix-off, et aussitôt les oublier...
Assez lunaire, on enchaîne des dizaines de personnages comme ça, qui ne servent à rien, qui sont juste posés dans un coin du club, à ne rien foutre, à attendre que ça se passe et que la caméra coupe... J'ai connu des méthodes moins flagrantes pour gagner du temps de film.


Il ne se passe rien, malgré la centaine de figurants, c'est totalement mort, y a aucune vie, aucune idée, aucune inventivité, et venant de Woody, c'est juste pas possible.


A la toute fin, j'ai cru qu'un improbable mindfuck allait se produire.
C'est le nouvel an, on entend la musique traditionnelle... Eisenberg et Stewart sont chacun à leurs fêtes respectives, mais la caméra s'arrête sur leurs visages hagards, longuement. Et on sait, qu'ils sont connectés l'un à l'autre et qu'ils ne rêvent que de se retrouver.
Et là je me dis...


Mais c'est le final de "Quand Harry rencontre Sally" qui s'inspirait directement de "Manhattan" de Woody Allen ! Eisenberg va faire le fou, il va décamper dare-dare, il va courir à toute vitesse rejoindre sa bien-aimée.
Mais non. C'est le seul véritable décalage du film, pas de happy-end, mais rien d'autre que la fatalité. Rien à faire. C'est mort.


MORT.

KingRabbit
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le 22 mai 2016

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