Les lumières se rallument, l’image de Elio et de ses longs cils noirs mouillés est encore sur l’écran. Les gens se lèvent et je veux rester. Rester un peu plus longtemps avec Elio et Oliver au soleil d’Italie du Nord, à lire des livres, à fumer des cigarettes, à se baigner dans la rivière tôt le matin, à dormir dans la lumière de 16h et à pédaler très vite sur un vélo rouge. Non décidément le Paris triste et froid de ce mercredi soir ne me tente pas. Sans doute parce que Call Me By Your Name a une des plus incroyables atmosphères que j’ai eu l’occasion de voir dans mes vingt (petites) années de cinéma.


Parce qu’au juste qu’est-ce qu’une atmosphère ? Qu'est-ce qui la constitue ?


Dans l’atmosphère, il y a le lieu ; une villa italienne, et ses tables en fer forgé, et ses livres par centaines dans toutes les pièces, qui font trembler les bibliothèques surchargées ; une villa où on parle anglais et puis français et italien et aussi un peu allemand ; une ville aussi, vidée par la langueur des jours d’étés, où le soleil tape contre les murs jaunes et rouges des immeubles bas ; des routes enfin, qui sinuent dans les herbes hautes et sèches.


Dans une atmosphère, il y a aussi le moment ; or l’été a rarement été si bien filmé. Il y a ces petits déjeuners pris alors que la matinée est bien entamée, et qu’on mange des œufs à la coque. Il y a ces après-midis où on se met à l’ombre et qu’on écoute le bruit de l’été. Il y a le soleil qui traverse les volets et qui zèbre les murs de notre chambre quand à 16h, on se réveille après s’être endormi un peu trop tard à la fin du repas. Il y a ces soirs brûlants, où on porte des chemises blanches, des shorts et des converses blanches et qu’on va danser dehors.


Dans une atmosphère, il y a la lumière ; cette lumière incroyable ; qui jaillit du ciel bleu, qui enveloppe et morcelle les corps ; un trait de lumière sur la joue puis l’ombre partout ; ou bien l’ombre, qui dessine d’un grand trait noir le dos d’Elio ; qui cache les nuques qui sortent des polos trop grands ; qui laisse apercevoir les rondeurs du visage qui commencent à s’effacer à 17 ans. L’analogie avec les corps des statues grecques nous apparait comme éclatante sous cette lumière d’été. La transition vers l’âge adulte de Elio aussi, dans ses mouvements, dans son corps élancé, dans son expression butée, est magnifiée par cette même lumière.


Dans une atmosphère enfin, il y a les sentiments ; et quoi de plus saisissant que le désir à 17 ans ? Le désir qui nous prend au fond du ventre et nous plaque de l’intérieur, comme une vague le ferait, qui nous coupe le souffle et nous empêche de bouger. A l’image de ce premier baiser : esquissé d’abord, comme si on se retenait ; puis les lèvres se touchent ; alors on abandonne la retenue et on laisse ce désir, cette vague nous bousculer contre l’autre. Mais il y a aussi la tendresse. Celle des parents, quand Elio pose sa tête sur leurs genoux tout naturellement. Leur regard sur lui quand il joue du piano.


Voilà ce qu'il y a dans une atmosphère, selon moi.


Il y a une expression qui dit en anglais « you could cut the atmosphere with a knife ». Il n’y a pas d’équivalent en français, je crois. Pourtant c’est exactement ce que Call Me By Your Name fait. Il rend l’atmosphère tellement présente, saisissante, enivrante, qu’on pourrait la couper avec un couteau. Enfin seulement si on a envie d’en sortir. Ce qui généralement n’arrive pas après les 2h11 de film.

inesclivio
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 8 mars 2018

Critique lue 531 fois

9 j'aime

Ines Clivio

Écrit par

Critique lue 531 fois

9

D'autres avis sur Call Me by Your Name

Call Me by Your Name
Sergent_Pepper
8

Ce sédiment de l’été.

Par une savoureuse coïncidence d’agenda, Lady Bird et Call me by your name sortent le même jour en France en plus de partager un de leur comédien, qui de second rôle ténébreux dans le premier devient...

le 3 mars 2018

304 j'aime

18

Call Me by Your Name
Velvetman
8

Dolce Vita

Dans une Italie bucolique et pittoresque, Call me by your name de Luca Guadagnino nous raconte avec fièvre les premiers émois de deux démiurges. Le film est aussi solaire qu’un premier été, aussi...

le 1 mars 2018

145 j'aime

7

Call Me by Your Name
IvanDuPontavice
8

Au détour d'un été.

Il me suffit d'écouter en boucle ou de me repasser en tête le sublime morceau "Mystery of Love" de Sufjan Stevens pour retrouver cette sensation si particulière que peu de films arrivent à partager...

le 6 nov. 2017

123 j'aime

15

Du même critique

L'Atelier
inesclivio
9

Camus, sors de ce film

"Un enchaînement de clichés. Les deux arabes, le noir, le blanc raciste au regard dur, l'autre blanc au regard doux et la quarantenaire aux jambes effilées qui va réunir ce beau monde en grands...

le 10 oct. 2017

25 j'aime

2

Jeune femme
inesclivio
9

La somptueuse légèreté de l'être

« Je viens de voir Jeune Femme. Il est incroyable. » dis-je en rentrant à ma colocataire penchée sur son devoir de philo. « Ca parlait de quoi ? » a-t-elle répondu distraitement sans lever les yeux...

le 19 nov. 2017

14 j'aime