« Je viens de voir Jeune Femme. Il est incroyable. » dis-je en rentrant à ma colocataire penchée sur son devoir de philo.
« Ca parlait de quoi ? » a-t-elle répondu distraitement sans lever les yeux de son classeur.
« C’est l’histoire d’une fille qui vit à Paris »
« Et après ? »
« C’est tout. »
Voilà la première discussion que j’ai eue en sortant de ma séance. Entre temps, j’ai aussi couru dans le métro, dansé dans mon couloir, regardé les gens en leur souriant et filmé des feuilles qui changeaient de couleur au rythme d’un néon de magasin.


Bon, il s’agirait peut-être de parler du film à un moment dans cette critique.


Par où je commence ? C’est vrai, par où commence-t-on pour expliquer pourquoi on trouve Paris encore plus belle ce soir ? Et pourquoi on a terriblement envie de danser et de faire voler ses cheveux longs ? Pourquoi on veut se tourner et parler de notre mère à notre voisin de métro ? Pourquoi on veut déambuler dans le froid de l’hiver avec un manteau couleur carotte, ou bien plutôt brique et souffler de la buée sur une vitre ?


Je vais commencer par le premier élément central du film : la vie. La vie ? Bizarre. Pourtant, la vie que nous décrit Léonor Serraille, celle de Paula, n’est pas extraordinaire. Enfin parfois si. Elle n’est pas pathétique non plus. Enfin parfois si. En fait, elle n’est ni incroyable, ni pathétique, elle est tout simplement là. Elle est vraie. Pas besoin de musique pour courir dans la rue, pour déambuler dans un grand magasin avec une petite fille aux cheveux longs et un vigile au costume trop petit, pour réchauffer son visage à la lumière du soleil le matin quand le métro sort de terre. Nul besoin d’artifice pour que se forme en nous une boule de tendresse à la vue de Paula et de Lila, la petite fille qu’elle garde qui se coiffent l’une et l’autre tout simplement, et que pour que sitôt après elle soit piquée par l’amère pointe de la tristesse quand la petite annonce à Paula que sa mère va la remplacer.


Le deuxième élément central, c’est Paris. Paris qu’on devine plus qu’on ne voit, une fois on est à Stalingrad, une fois sur les champs. Sans doute parce qu’on déambule dans une ville dont on ne regarde pas les murs mais les gens. Parce que c’est ça ce que fait Paula, elle regarde les gens : dans le métro, dans la rue, chez le gynéco. Elle a les yeux grands ouverts sur les autres. Mais en même temps, on se sent porté dans Paris, dans les métros et les rues éclairées par quelques rayons d’hiver. En fait, Léonor Serraille nous a rendue Paris présente avec Paula. Absente sans elle.


C’est vrai ça d’ailleurs, Paula est toujours là. Elle ne quitte jamais l’œil attentif de la caméra. Ce qui en fait le troisième élément central du film : Paula donc, incroyablement bien interprétée par Laetita Dosch. Paula, légère, spontanée. Paula, une gamine qui se peint le visage avec du chocolat et mange tout le temps des bonbons tout en sachant qu’elle n’a plus 15 ni 29 ans mais 31. Mais Paula ne serait pas si centrale s’il n’y avait pas cette caméra. Caméra qui ne la perd jamais de vue, ni elle, ni le monde autour d’elle. Caméra qui parvient à rendre parfaitement la légèreté du temps qui passe en alternant plans assez longs et aériens avec des plans très courts d’une Paula en ville, dans son lit, qui ne fait rien. Le temps passe donc mais il est léger.
Finalement avec tout ça, on comprend qu’être une Jeune femme, c’est avoir grandi mais s’en foutre et continuer à monter sur les tables d’un grand restaurant de la tour Montparnasse, faire des remarques déplacées à des inconnus, s’accrocher à la rampe d’escalier parce qu’on veut pas partir de la maison et puis finalement manger des frites avec sa Maman et puis jouer avec la lumière du rideau qui se reflète sur le corps endormi de celui avec qui on a passé la nuit (scène magnifique). Le temps passe, on grandit et puis ? Pourquoi les années supplémentaires devraient-elles forcément être un poids ? Pourquoi on ne peut pas être léger à 31 ans ? Et à 51 ? Et à 91 ? Parce qu’ici, la légèreté de l’être n’est pas insoutenable contrairement à ce que nous dit Milan Kundera. C’est plutôt une somptueuse légèreté de l’être.


Paula est une gosse de 31 ans. Moi, j’en ai 20. Et plus tard, je veux faire comme Paula : je voudrais devenir gosse.

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le 19 nov. 2017

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