Comme souvent avec les belles choses, un bel objet d'art au grand sens de l'esthétique ne nous laisse souvent à l'usure qu'une sensation d'un orgasme passé un peu illusoire, surtout quand le fond n'est pas aussi sublime et poétique que la forme. Call Me by Your Name de Luca Guadagnino est évidemment un film d'une beauté et aux images époustouflantes, bien qu'il soit difficile de bien en extraire le suc, si toutefois quelque chose puisse en être retiré. En effet, ce film s'inscrit dans un temps très court : un été, dans un lieu : un petit village quelque part dans le nord de l'Italie, et raconte l'initiation d'un jeune garçon de dix-sept ans par un professeur invité par ses parents dans la maison familiale. Ce jeune garçon, nommé Elio, issu d'une famille juive franco-américano-italienne découvre son corps dans cette époque des années 80, lit des livres, se baigne dans la rivière, flirte avec des filles et tombe follement amoureux de ce professeur ami de la famille, jusqu'à la déchirure finale de l'adieu. Il est difficile de comprendre de quoi traite réellement le film en question. Si c'est un film d'amour ou d'initiation, à l'image de ces éphèbes grecs avec leurs professeurs (ce qui ne serait pas étonnant étant donné cette focalisation sur les statuts grecs de jeunes athlètes qui avaient dans l'histoire des relations sexuelles entre homme par convention sociale), alors c'est plutôt raté, car niais et sirupeux, le tout avec des scènes franchement peu crédibles (les scènes de sexe sont un peu ratées à mon sens, puritaines tant on montre sans ne rien montrer). Si c'est un film sur l'homosexualité et la tolérance, alors c'est encore plus raté, tant le film se contenterait de clichés éculés et de traitements superficiels. Si encore ce n'était qu'un film pastoral, à la bande son et à l'image extraordinaire, alors quel est l'intérêt à part peut-être ce fameux concept d'art pour l'art ? Peut-être est ce un peu de tout ça, mais à mon sens, cela n'est pas aussi simple, et peut-être un peu éloigné de la réalité.


Le film me semble être un tableau sur la nostalgie, ce sentiment si mélancolique et si magique qu'il en parvient à recouvrir d'un voile de tristesse et de regret des événements qui, à l'époque, ne paraissaient en fait pas si extraordinaires. Ce film se centre sur une Italie splendidissime qui resplendit de beauté et de soleil, dans une ancienne maison familiale dans les années 1980, stéréotype même de cette petite maison familiale que l'on connaît tous, et qui est quelque part dans notre mémoire. Le cadre, les fêtes, les relations avec les parents et le climat semblent si idylliques que tout cela semble provenir d'un esprit empli de mélancolie, au réalisme plus que mitigé. Cette bande son fait resurgir en nous des souvenirs de torrides soirées estivales aux abords de la mer. Le rapport au corps si grec est lui-même assez problématique puisqu'il est omniprésent : l'acteur principal Timothée Chalamet semble passer 90% du temps torse nu, à un point tel que le spectateur connaît davantage l'emplacement de ses tétons que celui de ses yeux. Ce rapport au corps jeune semble être une forme d'obsession quasi malsaine, comme le regret et la nostalgie de la beauté du corps éphèbe, quand on s'empâte après 25 ans. Ce désir naissant, accompagné de ses drôles de scènes masturbatoires ou érotiques, parfois réellement étrange comme avec la branlette à la pêche que je ne connaissais pas personnellement, est appréhendé de manière adolescente, peu pertinente et étonnamment banale. Preuve que la nostalgie n'est pas hors sujet, tout le long du film, un vieil homme est posté dans le jardin, observe les événements sans que jamais personne ne lui adresse réellement la parole, comme un observateur étranger ou peut-être remémorant. Cette adaptation du livre réussit à presque être émouvante, notamment à la fin, même si la frontière entre le profond et le niais est souvent fine, voire infime. En fait, au fur et à mesure que le souvenir du film s'amenuise, et plus la forme semble se diluer face à la forme, s'endort, plus il ne nous reste rien d'autre que la nostalgie du moment où l'on l'a regardé : étrange mise en abîme.

PaulStaes
6
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le 6 mai 2018

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Paul Staes

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