Les aventures niaises et mièvres des petites aristocrates anglaises

Âpre lecteur de classiques en tout genre, admirateur absolu de tous les stylistes et grands romanciers des temps perdus, je m'attaquai à Orgueil et Préjugés avec l'espérance d'un nouveau coup de foudre romanesque, d'autant plus que je n'avais entendu que du bien de cet illustrissime roman de Jane Austen. Que de surprises quand je me rendis compte que ce roman n'était ni plus ni moins qu'un ancêtre haut-de-gamme de la collection Harlequin ou pire, d'une fiction écrite pour le magasine Marie-Claire. S'il est évident qu'à cette époque, même les romans les plus mauvais nous paraissent bons, à nous les lecteurs des temps modernes habitués à Marc Lévy, Amélie Nothomb ou Guillaume Musso, cela ne change rien au fait que ce roman est un tissu de bons sentiments et de naïveté particulièrement insupportable à lire qui ne m'a ni amusé, ni diverti et encore moins intéressé. Que Mrs Bennett veuille marier ses filles à l'homme le plus riche, le plus courtois et le plus beau de l'Angleterre, cela me passe par dessus la tête, et que celles-ci soient entraînées dans un tourbillon sentimental si peu tragique digne des Feux de l'amour, cela m'a fait une belle jambe. Pire, toutes les longues discussions mielleuses et pleines de sous-entendus subtils m'ont provoqué des ulcères, et je terminai le livre avec l'impression d'avoir mangé un vieux canard à la menthe dans un château de l'époque victorienne dans le Kent en Angleterre qui se serait terminé par une terrible partie de bridge. Les aventures d'Elizabeth et Jane Bennett, face à leurs prétendants Mr Bigley et Mr Darcy m'ont procuré exactement le même effet qu'un verre de bière sans alcool, c'est-à-dire rien. Je n'ai pas le souvenir d'avoir esquissé un sourire, ou d'avoir même ressenti quelque chose d'autre qu'une simple contemplation poussive et ennuyeuse d'une forme de comédie humaine version Liddle. Je peine toujours à comprendre en quoi ce roman est un grand et incroyable roman, tant sa lecture m'a été pénible, que ce soit sur la forme (à côté d'un Giono ou d'un Flaubert, c'est terrible) ou sur le fond (il me semble que Plus Belle La Vie aurait pu m'émouvoir davantage).

En revanche, si d'un point de vue de la littérature, ce roman est pour moi proche de zéro, il est d'un point de vue sociétal très instructif, à défaut de s'être rendu intéressant. Jane Austen dépeint évidemment, et nous ne pouvons qu'être solidaires avec elle, la société misogyne et phallocrate de cette Angleterre du XIXème siècle ainsi que sa structure extrêmement inégalitaire où les Nobles, les Bourgeois et le Peuple sont strictement séparés, se méprisent ou s'admirent selon les points de vue et dans lequel la maîtrise des conventions sociales et du "bon goût" sont les signes extérieurs de richesse et de valeur. L'attitude de certains personnages symbolise tout à fait un groupe ou une caste anglaise comme Lady De Bourgh la noblesse, Mr Collins le clergé et Mr Bennett le petit bourgeois nonchalant de campagne. Un peu comme une version anglaise, et donc forcément un peu moins bonne, de Balzac, le droit anglais est ausculté, et même si sa qualité est certes supérieure à ce qui se faisait alors dans toute l'Europe, la capacité juridique féminine est très déplorable, se contentant de ne faire que pont et planche, n'étant qu'un objet à marier, condition sine qua non de sa respectabilité. Il n'en reste sinon qu'un roman d'opérette dont le style est finalement assez riche et sophistiqué, mais qui masque une profonde vacuité. Il est certes très important pour la culture littéraire de lire ce texte, en revanche, il ne laissera à mon âme gourmande de petit lecteur qu'un souvenir très périssable.

PaulStaes
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Livres lus

Créée

le 21 sept. 2022

Critique lue 2.9K fois

17 j'aime

10 commentaires

Paul Staes

Écrit par

Critique lue 2.9K fois

17
10

D'autres avis sur Orgueil et Préjugés

Orgueil et Préjugés
Rawi
8

Raison et Sentiments

Pride and Prejudice est le roman que je préfère de Jane Austen. De ses 7 romans achevés c'est le plus connu avec Sense and sensibility qui est plus court. Publié anonymement en 1813, il raconte la...

Par

le 9 févr. 2015

49 j'aime

5

Orgueil et Préjugés
AliceRiddle
10

Critique de Orgueil et Préjugés par AliceRiddle

Derrière une histoire d'amour "banale" se cache une critique acerbe de la société campagnarde de l'époque, parfois dure mais on sent toute la tendresse que peut avoir Jane Austen pour ses...

le 3 déc. 2010

41 j'aime

Orgueil et Préjugés
B_Jérémy
8

Romans Éternels N°1 : "l'art de la guerre au féminin selon Jane Austen"

La louange affermit notre orgueil, cependant que notre orgueil nous certifie la sincérité de la louange. Car c'est un préjugé de croire qu'on ne peut partager les préjugés que par préjugé. Je...

le 19 sept. 2021

32 j'aime

34

Du même critique

La Tresse
PaulStaes
3

Niaiseries, caricatures et banalités.

Laetitia Colombiani a écrit un livre de magasines féminins bas de gamme, qui ferait presque rougir Amélie Nothomb ou Marc Lévy par sa médiocrité. Pourtant, l'envie était très forte : une publicité...

le 2 juil. 2017

23 j'aime

10

Orgueil et Préjugés
PaulStaes
5

Les aventures niaises et mièvres des petites aristocrates anglaises

Âpre lecteur de classiques en tout genre, admirateur absolu de tous les stylistes et grands romanciers des temps perdus, je m'attaquai à Orgueil et Préjugés avec l'espérance d'un nouveau coup de...

le 21 sept. 2022

17 j'aime

10