En 2014, sortait Une autre vie, échec frustrant du cinéaste mettant en scène Joey Starr et Virginie Ledoyen au bord d’un abyme étrange : l’écueil dramatique qu’offrait une énième histoire d’adultère désuète, d’un triangle amoureux sans grande ambition de révélation. Alors qu’Une autre vie se perdait dans un mélange confus de drame fade et de situations irréelles, Caprice est le signe d’un retour aux premiers amours du réalisateur : réinventer son geste, réapprendre la légèreté si proche du marivaudage subtil ; en somme, offrir au spectateur une histoire sincère et réfléchie sur les dangers d’une relation extraconjugale.
Clément (Mouret) est un amateur de théâtre qui n’a d’yeux que pour Alicia (Virginie Efira), une célèbre comédienne dont il est amoureux. Instituteur de vocation, Emmanuel rencontre son idéal féminin en donnant des cours particuliers à son neveu. De théâtres en bistrots, de rencontres impromptues en balades nocturnes, ils tombent amoureux. Ce n’est sans compter la présence de Caprice (lumineuse Anaïs Demoustier) excentrique et imprévisible à souhait qui vient cahoter l’idylle de son couple. Généreuse et lunatique, allègre et maligne, Caprice a tout de l’ambivalence qu’offre un patronyme aussi farfelu que lunaire : Elle est l’obstacle du rêve d’Emmanuel.
Le dernier long de Mouret, s’il ne réinvente pas le genre, demeure une belle surprise, au milieu des comédies graveleuses et stupides du moment. Deux raisons à ce propos : la subtilité et la discrétion du langage et l’héritage si prégnant d’un des plus grands maîtres du cinéma français, Eric Rohmer. Caprice pourrait paraître comme un conte suranné mais c’est cette même candeur, jouxtée à la fraîcheur de ses acteurs lumineux, qui enveloppent Caprice d’un enrobage agréable.
Si Mouret emprunte à Rohmer, c’est qu’il mélange avec intelligence deux schémas précis du maître. Caprice est donc un mélange harmonieux de deux séries de Rohmer : d’une part les contes moraux et les errances entre deux femmes du personnage masculin central et de l’autre les contes des quatre saisons où des personnages se rencontrent, hésitent longuement sur leur rapport au couple et à l’amour pour ainsi laisser le hasard décider à leur place. La structure thématique ne représente pas le seul legs rohmérien, il en va également de la présence du texte et des dialogues ainsi que du caractère des personnages. Mais alors que Rohmer préfère les espaces extérieurs lumineux et ouverts, Mouret opte ici pour un Paris souvent nocturne, du moins quand il s’agit des ébats amoureux.
Tandis qu’un homme est à la recherche d’une femme rêvée, il en rencontre une autre qui accapare son attention jusqu’au moment où il retrouve la première. C’est exactement le même châssis que le socle des films d Rohmer. Mais en pointant la délicatesse du film, on s’aperçoit de sa fragilité. Un brin poussif, Caprice est à l’image de son personnage ingénu : à bout de souffle, indolent par moments, voire redondant. Ce serait sans compter la justesse de ses dialogues qui viennent égayer l’image.
L’Omniprésence du dialogue prime sur la mise en scène. On pourrait affubler Caprice de cinéma bavard. Ce n’est pas le cas. Le principe du cinéma littéraire est que le verbe égale l’image voire, la surpasse. Emmanuel Mouret opte néanmoins pour une mise en scène intéressante, constamment en plan rapproché, souvent fixe. C’est aussi le choix ingénieux du contre emploi de son casting : par son hétérogénéité, Mouret prend le risque de donner le rôle d’Alicia à Virginie Efira (comédienne d’expérience) tandis que le second rôle est donné à Demoustier (comédienne de profession). Ce choix ambitieux réussit et détonne dans ses contrebalancements.
Et comme souvent, les films plantant le théâtre en fond deviennent eux-même le théâtre. Il y a ceci d’intéressant que la mise en abyme sert totalement le vœu de Mouret : Caprice n’est pas une comédie, ni même un drame, c’est une tragicomédie avec ses balises dessinées proprement, où la scène s’étend et épouse l’évolution de chaque personnage.
En somme, Caprice est un écrin où se loge le legs rohmérien se heurtant aux relents poussifs de plusieurs scènes dilettantes. Mouret peut remercier Anaïs Demoustier de tant illuminer son long qui, sans elle, perdrait certainement de son charme vanillé.