Ils lisent Chomsky ou Nabokov sans aucun problème, parlent au moins cinq langues, savent chasser le cerf à mains nues, connaissent les amendements américains par cœur, rejettent toutes religions et ignorent ce que peut représenter Nike ou Adidas. Ils ont entre cinq et vingt ans à peine, élevés en plein air à l’abri sous les arbres, loin du bruit et du béton de la ville par un père mi-hippie mi-démiurge leur enseignant aussi bien l’art du débat que celui de l’escalade. Quand leur mère vient à mourir et qu’il faut se rendre à son enterrement (malgré l’opposition du beau-père), les voici confronter soudain à la société actuelle dans toute sa déréliction.


À une autre réalité qu’ils ne peuvent appréhender et dont ils n’ont pas toutes les clés, ne comprennent pas tous les mécanismes… Sous ses airs de gentille comédie indé échappée du moule Sundance, Captain Fantastic semble plus complexe qu’il n’y paraît, et surtout plus grave. Si l’on rit souvent à cette belle aventure humaine emmenée par un Viggo Mortensen royal avec sa tête de doux gourou illuminé (et sa petite tribu de freaks en culottes courtes), le film est emprunt d’une sourde mélancolie qui le porte au-delà de la facétie New Age juste bonne à réconcilier quelques citadins stressés avec la nature et les bouquins, le libre-arbitre et les graines de sésame.


Matt Ross, à travers le deuil d’une mère et les implications morales de sa mort sur ses enfants et son mari (remettant en question les principes mêmes de vie et d’éducation de celui-ci, quasi militaires, et dont les failles se révèlent peu à peu), observe la rencontre de deux mondes opposés sur presque tout. Un "paradis de philosophes rois" contre un appareil consumériste. La marge contre le conforme, l’alternatif contre l’étatique, le savoir contre la banalité. Parfois démonstratif dans sa charge (la visite à la belle-famille, les obèses à la banque…), Captain Fantastic sait pourtant éviter le piège du raisonnement qui refuserait la nuance, écarterait toute impartialité.


De fait, et même dans ce sentiment de n’être jamais loin de la caricature, Ross s’emploie à (dé)montrer les atouts et les travers des deux systèmes, les paradoxes de chacun, leurs limites aussi (inadaptation sociale, utopie illusoire, repli sur soi, surconsommation, hyper dépendance…), et qu’il existe sans doute un compromis à trouver non pas dans la différence et le rejet les plus excessifs, mais dans une acceptation du monde qui nous entoure pour en extraire ce qu’il a de mieux et de plus simple (ce mieux que l’on décidera de laisser à nos enfants pour leur permettre de s’émanciper, de s’intégrer, de choisir), à l’image de ce dernier plan, magnifique, qui fait du bien, harmonie trouvée et retrouvée, tranquille dans le soleil du matin.


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mymp
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le 19 oct. 2016

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