Les diverses présentations du film ne manquent pas de rappeler que ce dernier s’inspire d’une énorme affaire, la fameuse « escroquerie au CO² ». Sauf que le spectateur ne voit pas comment une telle arnaque peut-être reliée à quelque chose d’aussi volatile, d’aussi impalpable. D’autant plus qu’on en a pas entendu parler. Enfin, là je parle pour moi. Bref !
La réponse est dans le bien nommé "Carbone", qui s’inspire effectivement de faits réels. Il faut dire que la fraude à la TVA sur les quotas de carbone était en tout point remarquable. Remarquable pour la facilité de sa mise en œuvre, remarquable pour les gains accumulés. Si remarquable et si lucrative que cette affaire est considérée d’ores et déjà comme le casse du siècle, alors que celui-ci vient à peine de commencer.
Pourtant, on ne peut pas dire que cette arnaque ait vraiment été médiatisée. Ben oui, il faut reconnaître qu’admettre que les failles du système ont pu profiter à au moins un opportuniste (acculé... ou pas) fait désordre. Ensuite, l’association Magimel-Depardieu sur la série "Marseille" s’était avérée toute aussi remarquable. Alors pourquoi ne pas imaginer de mêler ce tandem à cette escroquerie aussi simple que compliquée ? Et qui de mieux qu’Olivier Marchal pour concocter tout ça ? En tant qu’ancien flic, il a l’avantage d’avoir les contacts adéquats pour reconstruire (à sa sauce) cette affaire dont on ne trouve d’ailleurs qu’assez peu d’informations. C’est ce qu’il a fait, découvrant lui-même selon ses propres mots « les ressorts du dossier » qui lui ont fait comprendre à quel point cette escroquerie était « brillante mais aussi […] complexe ».
Pour autant, nul besoin d’être expert en finances pour saisir les tenants et les aboutissants. Tout nous est expliqué de façon claire par un surprenant Michaël Youn, très à l’aise dans un rôle bien plus sérieux que ceux auxquels il a eu l’occasion d’interpréter à maintes reprises jusque-là. Cependant Olivier Marchal s’est bien gardé de rentrer dans les détails


quant aux créations de fausses sociétés et ouvertures de comptes off-shore


qui auraient utilement (ou inutilement) rallongé le film. Ils n’auraient de toute façon pas apporté grand-chose, puisque le récit s’est surtout concentré sur le développement de cette escroquerie et sur son pourquoi, et en même temps sur l'évolution psychologique des personnages. Alors bien sûr, les puristes regretteront un manque de précisions dans la reconstitution. Moi je dis que l’idée n’était pas de donner un mode d’emploi.
Marchal nous raconte les choses à sa manière, en prenant quelques libertés par rapport à la réalité, ce qui lui a permis de servir un polar comme il les aime. Un polar noir et relativement violent en accord avec son expérience de flic, un polar plutôt crédible dans son déroulé. Sauf que le transfuge ne s’est pas focalisé sur des personnages flics (qu’ils soient intègres ou corrompus) ou des voyous au sens strict du terme. Non, il part d’un cas que nous voyons hélas trop souvent. Un cas aux allures de drame social, conté à partir d’un règlement de compte en pleine rue sans qu’on voie le tireur. Comment cet homme descendant d’une Porsche rutilante en est arrivé là ? C’est ce qui va nous être raconté, à travers ce cuisant échec causé par le fisc, cette horripilante administration tenue pour responsable. Certes tout le monde sait que si le fisc vous pousse malgré vous à mettre la clé de votre société sous la porte, c’est en raison d’une gestion hasardeuse, pour ne pas dire calamiteuse. Mais le système est dans le viseur de cet homme écrasé aussi par sa belle-famille, dont le chef de meute est l’impitoyable Aron Goldstein, interprété par un Gérard Depardieu dans un rôle plus détestable que jamais.
D’ailleurs "Carbone" se caractérise par un florilège de portraits. En plus de Depardieu, il y a Moussa Maakri dans les traits inquiétants de Kamel dont le faciès précède la réputation ; il y a bien entendu Magimel pour qui on prendra fait et cause à travers son personnage qui voit l’occasion de prendre sa revanche ; et puis Idir Chender dans la peau de l’électron un peu trop libre Eric ; mais il y a aussi la personne la plus touchante, en la personne de la mère d’Antoine, campée avec beaucoup de sensibilité par Catherine Arditi au cours de courtes apparitions, mais quelles apparitions !
Pour ce qui est de l’intrigue, tout y est. Comme je l’ai dit plus haut, une descente aux enfers aux couleurs d’un polar noir dans lequel le spectateur va retrouver tous les éléments : l’opportunisme, l’intelligence, les intimidations, le chantage, les manipulations, la corruption et, pour ne pas trop spoiler, tout le reste ! Une œuvre complète qui confirme le savoir-faire d’Olivier Marchal, soutenue par une belle photographie tout en luminosité et par une bande originale signée Erwann Kermovant en plus des chansons prééexistantes triées sur le volet. Et si vous vous demandez si le titre "Womanizer" de Britney Spears était ou pas un anachronisme, eh bien non : j’ai vérifié et le single est bel et bien sorti courant 2008 et inondait derechef les pistes de danses.
Quoi qu’il en soit, comme pour boucler la boucle, le film se termine sur la scène de départ… et j'aurai aimé connaître les décisions de justice appliquées à chacune des personnes impliquées, mais comme les personnages présentés sont de fiction... En attendant, je peux vous dire que la majeure partie du butin n'a jamais été retrouvée. Mais quel est le montant de ce fameux butin ? Ça, je vous laisse le découvrir...

Stephenballade
8
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le 7 juin 2020

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