Dans la filmographie de Satyajit Ray, Charulata est à la fois un film charnière et l’apothéose d’une longue série de films consacrées aux femmes dans la société indienne de la fin du 19ème siècle.
Ancien publicitaire, cinéaste reconnu depuis l’accueil dithyrambique à Cannes de son premier film, La complainte du sentier. Ray se distingue profondément de la production cinématographique indienne de l’époque. Charulata, l’épouse délaissée, sort dans les salles du pays en 1964 et puis un an plus tard en Angleterre ( ce qui témoigne des liens conservés entre les deux pays après la déclaration d’indépendance de l’Inde de 1947). Le film n’atteint le reste de l’Europe que bien plus tard; en France, Charulata n’est projeté qu’au début des années quatre-vingt. Dans ce film, Satyajit Ray s’inspire d’une nouvelle intitulée The Broken Nest du célèbre poète Rabindranath Tagore. Charu, bourgeoise bengali de la fin du 19ème siècle vit une existence oisive à lire romans et poésie tandis que son mari décide de créer un nouveau mensuel : La Sentinelle. L’arrivée d’Amal, un lointain cousin de son mari va bouleverser le quotidien de la villa bengali…
Le film est financé par R.D Bansal, un riche producteur indien qui a d’ailleurs produit une importante part de la filmographie de Satyajit Ray. Il est reconnu comme l’une des figures éminentes du cinéma indien et l’un des contributeurs majeurs à l’exportation de ce cinema en Occident. Il a notamment reçu deux Médailles d’or du président, récompense prestigieuse en Inde ( on pourrait l’associer à l’Ordre national du mérite en France par exemple). C’est un film à budget moyen, comparé aux lourdes productions de Bollywood. La singularité de ce film vis à vis du cinéma national de l’époque réside dans l’attention que porte Ray au statut social et psychologique de Charu, personnage centrale du film. Eprise de littérature, elle est soumise à son mari qui méprise cette attirance pour ces “niaiseries” à laquelle il préfère le goût de la politique et de la revendication. Le film traite pour une partie de l’émancipation de cette femme et ses premiers pas en tant que poétesse, publiée dans un journal littéraire. Cette libération et cette accession au statut de femme-écrivain, catalysée par le défi que lui lance Amal d’écrire un poème aussi “sensible” que le sien, s’inscrit dans cette période du cinéaste qui se focalise sur des portraits de femmes singulières. Par exemple, dans La grande ville, sorti en 63, Arati, devant les difficultés de son mari à subvenir aux besoins de sa famille, devient employée dans une entreprise de matériels ménagers et se distingue comme étant une femme avec un grand sens pratique, rapidement couverte d’éloges par son directeur. Cette mise en valeur de la femme n’est possible qu’a travers un contexte de production particulier, le réalisateur étant reconnu en Occident comme dans son pays pour son talent, il jouit d’un pouvoir d’expression bien plus étendu que d’autres confrères. Ce n’est pas que ses camarades cinéastes soit soumis à la censure, mais bien plus certainement par le dictat de la monnaie. Le statut de Satyajit Ray lui octroie un budget et un public que les autres n’ont pas…Ainsi Satyajit, cinéaste à l’origine influencé par le néo-réalisme, Le voleur de bicyclette étant le film qui l’a poussé à faire du cinéma son métier, poursuit cet idéal à la fois d’un cinéma social et d’émancipation.

Hippolyto
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le 1 mai 2020

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